Source : extraits d'un article publié dan Le Monde du 20 avril dernier, par Maud Dugrand, mis en ligne le 2 juin 2016
Dans la Drôme, le village de Saillans expérimente depuis 2014 une « municipalité participative » qui suscite l'intérêt de nombreux élus et associations et nous avons « couvert » cet événement il y a maintenant près de deux ans. Où en sont les 1 200 habitants de Saillans aujourd'hui ? Nous publions ci-dessous de larges extraits d'un reportage de Maud Dugrand (1), qui s'est rendue en mars dernier dans la Drôme, faire une immersion dans ce monde nouveau qui est en train de naître.
L'histoire singulière de la « municipalité participative » de Saillans a commencé en 2013 par une âpre bataille contre la volonté du maire MoDem d'alors, François Pégon, d'implanter un supermarché Casino à un gros kilomètre du centre du bourg, pourtant bien doté en petits commerces. Manifestations avec poussettes et chariots, pétition rassemblant 800 signatures : l'enseigne de grande distribution jette l'éponge. Fort de cette victoire, un cercle d'habitants se lance un défi : se mobiliser pour les municipales à venir. Une première réunion publique, « sans programme ni candidat », réunit 120 citoyens ! Soit 10 % du village...
Organisés en groupes thématiques, dossier par dossier, ces engagés volontaires diagnostiquent les besoins de leur commune. Lors d'une deuxième assemblée, ils ébauchent l'ossature d'un programme pour une liste de candidats à la mairie. « On débat sans entraves : quelles sont les qualités d'un futur maire ? », raconte Tristan Rechid, l'un des initiateurs de l'aventure. Émerge alors le nom de Vincent Beillard, 41 ans, veilleur de nuit dans un centre pour adultes handicapés, jugé le plus apte à animer une équipe au service du collectif. Il apprendra sa désignation par mail, à l'issue de la troisième réunion publique...
Au soir du premier tour, le 23 mars 2014, la liste citoyenne « Autrement pour Saillans... tous ensemble » l'emporte sans appel avec 56,8 % des voix, pour une participation de 80 % des électeurs. La nouvelle équipe décide aussitôt d'ouvrir les portes de la mairie. Par choix ou compétence, pas moins de 250 volontaires s'inscrivent à sept commissions prioritaires, décidées pendant la campagne électorale. Ces « groupes action-projet » (GAP) planchent sur l'école et ses nouveaux rythmes, la rivière Drôme, la circulation, les parkings, le lien social, la santé, la salle des fêtes. À l'égal du maire et de sa première adjointe, Annie Morin, les conseillers travaillent en binômes. Un « conseil des sages », auquel Tristan Rechid appartient, veille au respect de l'éthique du projet : transparence, collégialité et participation, le nouveau triptyque des saillansons.
Est-il possible que les gens, enfin, ne suivent plus les débats-télé mais qu'ils les vivent chez eux ? Tel est le vœu de Tristan Rechid : que l'expérience suscite « l'émergence de 36 000 listes participatives dans les 36 000 communes de France pour les municipales de mars 2020. Personne ne sait mieux que vous ce dont vous avez besoin au village, dans votre quartier. L'élu vous représente, il ne pense pas à votre place. ». C'est tout l'enjeu de ses pérégrinations. Lors des régionales de novembre 2015, il a posté un appel en ligne et a développé un projet de « conférence articulée » pour partager l'expérience de Saillans et proposer une formation à l'élaboration d'une réunion publique. Les week-ends, il se déplace au gré de demandes toujours plus nombreuses de collectifs, d'associations locales et d'élus. « Notre projet est apolitique au sens des partis, insiste-t-il. L'unique proposition est celle de la réelle participation citoyenne et du retour à un véritable fonctionnement démocratique dans notre pays ».
L'initiative peut-elle engendrer un mouvement national ? « Une équipe locale a émergé autour d'une mobilisation. Un programme a ensuite été élaboré collectivement, sans leader. L'expérience de Saillans n'a rien de révolutionnaire, affirme le sociologue Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. C'est l'essence même de ce que devrait être la politique locale. Reste à savoir si le défi que Saillans lance à la démocratie peut s'étendre ».
Le défi de Saillans, pour l'heure, est la maturation de l'exercice démocratique. Treize citoyens de la commune ont été formés à l'animation de la démarche de « co-construction entre élus et citoyens », en vue de la révision du Plan Local d'Urbanisme. En projet : une maison de santé dans les locaux de l'ancienne perception, quatre constructions en bois à « énergie positive » en guise de logements sociaux, et une salle des fêtes à créer et à équiper. Le 31 janvier, lors des vœux du maire, une bonne centaine de citoyens ont assisté trois heures durant aux comptes rendus de bilan des commissions participatives de l'année. De quoi redonner du mordant à des élus parfois épuisés.
Soucieuse d'éviter le burn-out, l'équipe envisage d'engager deux collaborateurs, tout en renforçant l'initiative des citoyens. La gestion du compost collectif est confiée à des volontaires. Une dizaine de bénévoles assurent La Petit'Entraide, un guichet d'aide sociale se consacrant aux urgences quotidiennes. Formée techniquement, une saillansonne assure la gestion du site Internet du village. Une quinzaine de citoyens animent les réunions participatives, une dizaine se chargent de la rédaction des informations municipales. Cowork Saillans, une association installée dans un espace de travail partagé, accueille une dizaine de travailleurs indépendants, dont certains sont des habitants récents, de jeunes néo-ruraux, diplômés, qui ont déserté la ville pour s'installer au village avec leurs enfants, au bénéfice de l'école publique.
« Nous ne sommes pas encore très bons sur le budget. Cette matière n'attire pas les foules. Nous cherchons des outils pour faire venir les citoyens », confie Agnès Hatton, adjointe aux finances, à la santé et au social. Elle assure que tous les élus ont parfaitement intégré la participation citoyenne comme étant normale. Reste à convaincre encore les rétifs du village (des agoras publiques, les jours de marché, sont envisagées par le « conseil des sages ») et à pacifier les relations avec les opposants et les municipalités voisines.
Un nouveau modèle d'alternative politique serait-il en train d'émerger ? En décembre 2015, aux élections régionales, la liste Front national de Christophe Boudot pour la région Auvergne-Rhône-Alpes a plafonné à 13,1 % à Saillans, soit deux fois moins que son score régional.
Le 31 mars, une Nuit debout a eu lieu sur la place de la mairie. Deux cents personnes y ont visionné le film « Merci patron ! » de François Ruffin, avant d'échanger jusque tard dans la nuit.
« Nous avons tenu soixante-dix réunions publiques l'année dernière. Rien n'est facile, mais je doutais d'aller aussi loin dans l'action. Nous vivons tous les jours la preuve que nous sommes plus intelligents à plusieurs », se félicite l'adjoint à l'économie et à la transparence, Fernand Karagiannis, 57 ans, imprimeur qui travaille à Lyon deux jours par semaine.
À Veynes, ce 19 mars, la réunion finie, c'est l'heure du café chez Philippe Saugier-Séranne et Aline Chipaux. Dans leur salle à manger, des cagettes d'oranges et de mandarines accueillent le visiteur. Acteurs de Court-Circuit, une association d'achats de denrées alimentaires sans intermédiaires, ils régalent les adhérents d'agrumes de Sicile. Aline l'assure, après les circuits courts alimentaires, « l'heure est à la politique en circuit-court ».
1. 02/06/2016
[i][/i]C'est peut-être la solution de l'avenir et d'en finir avec des politiques partisanes ou corporatives .
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