Fralib, Pilpa Demain se crée aujourd'hui !
Dossier central du Lot en Action n°94 (octobre 2015), préparé par Bill et Bluboux, mis en ligne le 26 mars 2016
Fralib, Pilpa, Demain se créé aujourd'hui
1973. Aux usines Lip de Besançon, commence la grève la plus emblématique de l'après 68. Un mouvement de lutte incroyable, une épopée ouvrière qui dura plusieurs années, mobilisa des foules entières en France et en Europe, multiplia les actions illégales et les gestes audacieux, porta la démocratie directe et l'imagination à incandescence, faisant peur au pouvoir. LIP, c'est un appel à l'insurrection des esprits contre la fatalité. Ce combat symbolisa l'espoir et les rêves de toute une génération, mais il résonne encore aujourd'hui avec une force singulière.
Entre 1998 et 2002, de l'autre côté de l'Atlantique, l'Argentine est en proie aux diktats du FMI et sombre dans une crise sociale et économique violente. Nombre d'entreprises ferment leur porte, parfois du jour au lendemain. Naît alors le mouvement des ERT, les entreprises récupérées par les travailleurs, avec plus de 300 coopératives créées.
En France, le fameux slogan des LIP, en 1973, « on fabrique, on vend, on se paie ! » est remis au goût du jour avec l'aventure des Fralib et des Pilpa. Ces deux entreprises rachetées par des multinationales, comme tant d'autres, ont été pillées de leur savoir-faire et jetées à la poubelle, leurs salariés n'étant alors qu'une simple petite variable d'ajustement. Nous consacrons ce dossier central à ces deux coopérative ouvrières (via deux article de Basta mag et de l'Association Autogestion) qui s'inscrivent dans la continuité de cette histoire, qui n'en est probablement qu'à son tout début. Produire sans patron, et parfois même sans capitaux propres n'est pas une illusion.
Mais la question qui se pose inévitablement est, bien sûr, celle de la finalité de la production. Tout mode de production est un ensemble cohérent, même ses incohérences apparentes en font partie. Mettre en autogestion une usine de fabrication d'armes ne présente aucun intérêt ! Plus fondamentale encore, l'organisation administrative aussi bien que technique de cette production est toujours au service des intérêts des classes possédantes et participe de la reproduction élargie de leur pouvoir. L'administration hiérarchique favorise l'intériorisation par les ouvriers de la soumission, et la technique organise la dépossession de chacun de ses actes, qui est l'essence même de notre aliénation. Vécue, dans un premier temps comme une mesure de survie prise dans l'urgence, la mise en autogestion est ce moment où, dans la dynamique de l'action, doivent se poser toutes les questions liées à la finalité de cette production. En premier lieu, que produit-on et comment le produit-on ? Dans toutes ces expériences ces questions on en effet été posées. Toujours. Mais le pas qui n'a pas encore été franchi est celui de l'insertion d'une production sous contrôle ouvrier dans un monde lié aux profits et aux marchandises. En effet, à moins d'être inséré dans une société toute entière dédiée à « l'autogestion de tous les aspects de la vie », l'autogestion trouve devant elle toute la force du mode de production majoritaire. Et à chaque fois, ces magnifiques expériences se sont heurtées à la répression, aux sabotages par le grand patronat ou à une récupération par la transformation de ces coopératives en associations à but uniquement lucratif. Ce sont là les limites qui n'ont toujours pas été franchies.
Mais ce n'est pas parce que ce pas n'a pas été fait qu'il nous faut désespérer de ces moments de l'histoire humaine. Plus nombreux qu'on ne se l'imagine, ils courent de la Russie de 17 à l'Espagne de 36, en passant par la Bavière et l'Italie en 1920. Ils ont existé, même si le pouvoir voudrait nous le faire oublier, toujours ils sont revenus et reviendront, « jusqu'au moment où tout retour en arrière sera devenu impossible ».
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