Article publié dans le LEA de novembre(n°105), par Laurent Cougnoux (Bluboux), mis en ligne le 16 novembre 2016
Gramat, paisible bourgade à l'entrée du Parc Naturel des Causses du Quercy, possède quelques beaux attraits touristiques comme l'Installation nucléaire de base secrète (INBS) à Bèdes, où l'on met au point les armes de demain, son Centre National d'Instruction Cynophile de la Gendarmerie, son abattoir ovin qui emploie des Roumains à tour de bras, et enfin l'usine de production La Quercynoise (palmipèdes, foie gras, magrets, confits) de la tentaculaire coopérative agroalimentaire Capel (1). Et c'est cette dernière qui retient toute l'attention des Gramatois, car le groupe Capel envisage d'équiper son usine de transformation et de conservation d'une unité de méthanisation. C'est la toute jeune entreprise Bioquercy, basée à Roquefort dans le Lot-et-Garonne, qui a déposé la demande d'autorisation de permis construire et d'exploiter cette usine de méthanisation.
Pour bien comprendre les enjeux, il est nécessaire de préciser que sur le site de La Quercynoise à Gramat, 1,5 millions de canards sont abattus et « transformés » chaque année. Oui, vous avez bien lu ! Les déchets organiques produits sont donc considérables et il faut bien les traiter. L'idée de valoriser ces déchets pour produire du méthane et ensuite de l'électricité par cogénération (on brûle le gaz pour transformer de l'eau en vapeur qui alimente une génératrice), semble donc plutôt intéressante.
Pourtant, à en juger par la colère des habitants qui a pu s'exprimer lors de la réunion publique qui a eu lieu le 26 octobre dernier à la mairie de Gramat, et la farouche opposition du Gadel, qui dénonce un surdimensionnement du projet, il convient d'y regarder de plus près.
Bioquercy, le porteur du projet, annonce que l'unité de méthanisation recevra 47 000 tonnes de déchets organiques par an (notons au passage que l'autorisation porte sur 64 000 tonnes). Par déchets organiques, entendez bien évidemment ceux qui viennent du million et demi de canards, mais pas seulement puisque La Quercynoise ne fournira que 20 % des intrants pour alimenter ce méthaniseur de « gros gabarit ». Il faudra donc aller chercher du fumier et du lisier pour 58 %, des boues de stations d'épuration pour 15 %, des déchets organiques d'industries agro-alimentaires pour 3 % ainsi que des fruits et légumes pour 1,5 %. Mais aller les chercher où ? La Capel a trouvé la solution puisque ses producteurs adhérents et ses filiales, répartis dans les 5 départements limitrophes, fourniront les déchets qui seront rapatriés sur le site de Gramat par un flot journalier d'une quinzaine de camions-citerne ou bâchés (journalier, parce que le processus de méthanisation doit être continu et que le stockage nécessite de coûteuses précautions).
Là, de suite, on commence à se dire que ce qui semblait être une excellente idée au départ devient moins évident. Jeter près de 5 000 camions par an sur les routes pour produire de l'énergie verte a quelque chose d'un tantinet paradoxal.
Ensuite vient l'épineuse question de ce que l'on nomme le « digestat », qui est composé des résidus récupérés une fois le processus de méthanisation achevé. Les fervents défenseurs de la méthanisation avancent que les digestats, c'est génial puisque ça contient de l'azote et qu'en le répandant directement dans les champs, on supprime une partie non négligeable de l'apport en engrais chimique. Si c'est effectivement une réalité, il convient néanmoins de pondérer leur ardeur car les digestats contiennent également beaucoup de saloperies, telles que métaux lourds, PCB, résidus médicamenteux, antibiotiques (2). Bref la qualité du digestat dépend directement des intrants qui seront utilisés et vous aurez certainement noté, lecteur très attentif, que des boues issues des stations d'épurations ainsi que des déchets organiques d'industries agro-alimentaires seront utilisées… D'ailleurs les homologations données par le ministère de l'Agriculture le sont au coup par coup après étude des dossiers et de la qualité des digestats, ce qui conduit à constater que tout n'est pas aussi simple que ce que les promoteurs de la méthanisation avancent.
Le projet de Bioquercy à La Quercynoise produira 45 000 tonnes de digestats par an, qui seront épandus dans un rayon de 30 km autour de Gramat dans 72 exploitations agricoles, réparties sur 70 communes à la périphérie de Gramat, sur un sol en grande partie de type karstique, c'est à dire extrêmement perméable… D'ailleurs l'une des recommandations du commissaire enquêteur porte sur ce point : « J’ai donc été amené à émettre un avis favorable assorti de plusieurs recommandations dont deux me paraissent essentielles car répondant aux préoccupations récurrentes du public : la protection des eaux souterraines dans un milieu karstique particulièrement sensible aux épandages de digestat et la mise en cohérence des tracés des périmètres de protection des captages AEP déclarés d’utilité publique, avec les recommandations des études hydrogéologiques récentes plus restrictives mais non opposables ». Les opposants au projet soulignent que les études hydrogéologiques réalisées n'ont pas été rendues dans les temps et que le décret préfectoral fixant le périmètre d'épandage n'en tient donc tout simplement pas compte…
Lors de la réunion publique à Gramat, Christian Delrieux, président de La Capel, martelait aux citoyens inquiets que « le projet est parfaitement dimensionné, à l'échelon local et n'offre que des avantages ». Pourtant chaque année 64 000 tonnes de déchets seront collectés sur 5 départements et 45 000 tonnes de digestats seront épandues dans un rayon de 30 km autour de Gramat, notamment sur le Causse.
En conclusion, qui n'est bien évidemment que provisoire, on peut regretter que ce qui est une excellente idée au départ se transforme en un projet effectivement surdimensionné et mal adapté aux besoins et à l'environnement. Il est évident que La Capel tente de bénéficier d'un « effet d'aubaine » en collant à l'air du temps (la « transition énergétique » et surtout aux fonds publics qui s'y rattachent), que le promoteur ne fait que ce qu'on lui a demandé (et il est là pour cela). En revanche on peut ressentir une légitime colère à l'endroit de nos élus, car ce type de projet suscite forcément des réticences de la part des habitants. La meilleure façon d'y répondre passe forcément par l'information et le dialogue, ce qui n'a manifestement pas été voulu ici puisque le commissaire enquêteur s'est étonné du peu de participation (forcément, les habitants n'étaient pas au courant !). Mais informer et débattre au préalable n'est pas dans la culture de nos élus qui préfèrent passer en catimini en espérant que les citoyens ne se mobilisent pas trop.
Et c'est dommage car un projet adapté eût été fort pertinent, même si les conséquences environnementales ne sont jamais neutres. Produire de l'énergie a un coût, y compris environnemental. L'expliquer, le discuter, l'amender aurait probablement permis de convaincre les habitants, y compris une partie de ceux qui sont dans la position du « not in my backyard » (pas de ça chez moi). Affaire à suivre...
Une pétition contre l'implantation de cette unité de méthanisation est en ligne : http://bit.ly/2fWDMz5
- Un hall de réception abritant la fosse de réception (fosse semi-enterrée d’un volume utile de 630 m3) et des locaux techniques de 382 m².
- Deux colonnes d’hygiénisation.
- Un digesteur : 21,34 m de diamètre pour 20,69 m de haut, c’est-à-dire 6 100 m3 de volume utile et 640 m3 de capacité de stockage de biogaz.
- Un post-digesteur : 21,86 m de diamètre pour 10 m de haut, c’est-à-dire 1 500 m3 de volume utile et 1 000 m3 de capacité de stockage de biogaz.
- Une cuve de stockage de digestat de 36,4 m de diamètre pour 12,75 m de haut, c’est à dire 5 000 m3 de volume utile.
- Une torchère de sécurité, une cheminée.
La combustion de biogaz fournira de l'électricité (9 881 MW/he/an revendus à Erdf), de la chaleur (8 292 MW/hth/an revendus à la coopérative voisine « La Quercynoise » ou utilisée pour les besoins de l'installation).
Documents officiels (également disponibles sur le site de la préfecture du Lot) : Rapport conclusion et avis (194.92 Ko) Etudes d impacts (14.74 Mo) Cartes et plans (3.9 Mo) Etudes de dangers et risques sanitaires (9.92 Mo)
Quelques sons dissonants : Ei unite methanisation bioquercy carences volet patrimoine naturel (40.29 Ko) Risques sanitaires des unites de methanisation bioeco (461.84 Ko)
Notes
(1) Des filiales implantées de Chamberet en Corrèze jusqu'à Montbeton à l'ouest de Montauban. 300 millions d'euros de chiffre d'affaires (2013), 738 salariés, 4 500 adhérents et un réseau qui lie les autres coopératives (notamment via La Quercynoise à Gramat, dont la Sicaseli est actionnaire), la main mise avec la FDSEA sur le Crédit Agricole, la Chambre d'agriculture, la Safalt (Safer Lot, Tarn et Aveyron). Bref, une pieuvre.
(2) L'élevage est un des plus gros consommateurs d'antibiotiques. Et même si les intrants sont chauffés à 70° avant d'être introduits dans le méthaniseur, ce processus n'élimine pas totalement les antibiotiques présents dans le fumier et les lisiers.
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1. 20/12/2016
La méthanisation raisonnée, c'est par là :
http://aria-enr.fr/
2. 24/11/2016
il n'u a qu'à regarder ce qu'il ce passe en allemagne. Ils ont fait de grosses usines de méthanisation, où il n'y a aucun suivi de ces unités qui fuient. Les paysans sont obligés de cultiver pour y mettre des ceréales ou plantes pour les remplir car elles sont trop grandes. Ridicules et coûteux en subvention
3. 21/11/2016
Bonjour
Sommes en plein combat en ce moment contre une extension d'une plate forme terralys et aussi d'une autorisation d'épandage de calciton sur 400 communes dans l'eure.COURAGE.
Voir blog ADVG
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