Dans le Finistère, la fronde qui menace la FNSEA

Source : Médiapart, par Karl Laske, mis en ligne le 21 février 2016

Des éleveurs finistériens multiplient les actions, en marge des organisations syndicales. Ils ont visé la chambre d’agriculture de Quimper, tenue par la FNSEA et une coopérative. Les premiers frappés par la crise, les jeunes sont les plus actifs dans ce mouvement. « Plus personne ne dirige personne », commente un syndicaliste.

Agriculteurs en colere finistere fnseaEt soudain, les éleveurs des environs de Quimper ont changé de cible. Dans la nuit du 11 février, ils ont fait converger leurs tracteurs et leurs remorques chargées de fumier vers la chambre d’agriculture. Le bâtiment de l’institution tenue par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) a été attaqué à coups de pelleteuse. Le hall d’entrée a été défoncé, les rambardes d’accès arrachées, et le tout a été recouvert de fumier. « Plus personne ne dirige personne, commente un syndicaliste. Il y a des mouvements spontanés partout. Les gens se sentent trahis par leurs propres responsables. » Certains ont déchiré et brûlé leur carte du syndicat.

Dans le Finistère, le 12 février, on recensait, outre l’attaque de la chambre, une action au domicile du député PS Richard Ferrand, non loin de Carhaix, une autre devant le domaine de Michel-Édouard Leclerc, près de Concarneau, et une troisième, au siège d’une filiale de la coopérative Even, à Ploudaniel. Cette dernière attaque, au cours de laquelle des produits laitiers importés ont été découverts, fait sauter un autre tabou : les coopératives, alliées objectives et soutiens de la FNSEA, ne sont plus à l’abri non plus.

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Ancien animateur du mouvement des Bonnets rouges contre l’Écotaxe, le patron de la FDSEA assure qu’il continue pour l’essentiel « d’encadrer » ses troupes. « Chez Michel-Édouard Leclerc, ça a été très encadré et ils n’ont rien bloqué. L’opération au domicile du député, par contre, je ne cautionne pas. » L’élu socialiste, qualifié de « vendu » lui aussi, a d’ailleurs déposé plainte. La méthode « d’encadrement » par Merret s’est éventée. « C’était en quatre fois, raconte un syndicaliste. La première action était tranquille, la deuxième, plus forte, et la troisième encore plus forte, où ça cassait dur, et la quatrième, on revenait à une opération tranquille, pour discuter. Au moins, il contrôlait ses adhérents. » Ce n’est vraiment plus le cas. Il a dû quitter certains rassemblements sous les sifflets, et il aurait par ailleurs reçu des menaces sur son exploitation. L’an dernier, Merret a aussi vu la moitié des administrateurs de la fédération départementale lui tourner le dos et démissionner, sans pour autant rejoindre d’autres organisations.

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« On est abandonnés », constate Florent, un jeune éleveur, après le contrôle. Son installation date de 2013. Le prix du lait n’a rien alors d’inquiétant – il est à 340 euros la tonne de lait. Florent emprunte 500 000 euros pour construire un bâtiment de 2 000 m2, dans l’objectif de s’associer à son père. Il projette de « doubler » la production de l’exploitation, et de passer, avec 75 vaches au total, de 300 000 à 600 000 litres de lait par an. « La laiterie voulait que je fasse plus, commente-t-il. Aujourd’hui, je dois plus de 6 000 euros par mois à la banque. Je suis endetté à 85 %. Dès que la paye de lait tombe, la banque prend l’argent sur mon compte. Eux, ils s’en foutent, ils pompent. Ils ont le RIB [relevé d'identité bancaire – ndlr]. Je ne paye pas les fournisseurs : ils attendent les prochaines rentrées. Ils seront payés sur les céréales, quand je les aurais faites. Tout est payant, c’est impressionnant. On nous dit “on vous a donné des sous pour l’installation“, tu parles : il te reste rien ! » Le jeune éleveur se dit « dans le stress permanent ». « Tous les jours : une vache sur le carreau, un tracteur qui ne démarre pas, et c’est la crainte d’avoir des frais qu’on ne pourra pas payer. Il y a le bâtiment à payer et ça fait des conflits familiaux. Mon père me dit parfois qu’il va se jeter dans la fosse… Il n’y a rien qui va… Et on ne peut pas se permettre d’arrêter. Tu arrêtes, tu fais quoi ? »

Les jeunes autour de Florent approuvent. « Il y en a qui s’engraissent sur toi », juge l’un d’eux. Les actions et les incidents montrent un « ras-le-bol » général. « Il n’y a quasiment que les jeunes qui bougent, aujourd’hui », précise Stéphane Cornec. Parmi les issues individuelles, le passage au bio fait rêver, sans illusion : il est difficile. « Il faut le vouloir vraiment, s’y préparer sur deux ou trois ans, avoir des champs, de la pâture à côté », estime Julien. « C’est pareil pour la vente directe, tu ne peux pas vendre 100 000 litres de lait en vente directe d’un coup de baguette magique », objecte aussi Florent.

La baisse des charges annoncée par Manuel Valls est accueillie par un haussement d’épaules. « Ça concerne les exploitations qui ont des salariés, du revenu et des charges à payer », commentent les JA. Un truc pour soutenir les plus gros. Un nouveau gage au patron de la FNSEA, Xavier Beulin. Ce dernier, qui préside simultanément le groupe d’oléagineux Sofiprotéol, n’est pas épargné par les jeunes. « Nous, notre intérêt c’est que les intrants [les produits Sanders d’alimentation animale – ndlr] ne soient pas chers, lui, son intérêt c’est d’en vendre beaucoup et cher… ! » s’exclame Julien.

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« Habituellement, la FNSEA mettait les gens dans la rue et sifflait la fin de la récréation, explique l’éleveur. Depuis huit jours, ils essayent de les faire rentrer à la maison. Il y a un désordre total. Il n’y a plus de référents. Il n’y a pas de leaders. Les institutions politiques ne savent pas à qui s’adresser… Avec les réseaux sociaux, les infos circulent. Des connexions se font entre des gens qui ne devaient pas se rencontrer. » Christian Hascoët se souvient que lors de la grève du lait de 2009, il n’avait pas encore de portable… « La semaine dernière, des militants des JA et des indépendants sont allés visiter Even. C’est un immense tabou qui est tombé. Il y a peu, c’était une forteresse : personne n’osait visiter cette coopérative. Ils ont trouvé des matières premières qui venaient de l’étranger ; alors qu’on croyait que cette coop’ était là pour valoriser la matière première de ses adhérents. Mais c’est un cas typique : les coop’ collectent le lait, et la valeur ajoutée se fait dans des filiales, et elle n’est pas redistribuée. C’est tout ça qui blesse les éleveurs. »

Cette crise n’est « pas conjoncturelle », estime le syndicaliste. « Les prix ne sont pas près de revenir, sans des mesures européennes. » Mais les tentatives de négociation françaises sont tuées dans l’œuf par le syndicat majoritaire, selon l’« apliste ». « Xavier Beulin a quand même exigé la dérégulation, à travers son syndicat européen, le COPA-COGECA, comment voulez-vous qu’il porte la régulation ? Ils sont en train de faire mourir leurs propres troupes aujourd’hui. »

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