Carrière du Frau : une mission interministérielle débarque dans le Lot

Version intégrale de l'article publié dans le Lot en Action de l'été 2016 (n°102), par Laurent Cougnoux, mis en ligne le 26 juin 2016

Frau 7Madame Catherine Ferrier, préfet du Lot, a informé l'association APSMB, qui lutte contre la carrière du Frau, du lancement, à sa demande, d’une mission interministérielle d’expertise relative aux enjeux écologiques et économiques du projet d’extension d’une carrière de quartz sur une partie des vergers à graines de la commune de Lavercantière. Cette mission implique les ministères de l’environnement, de l’énergie et de la mer, de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, de l’économie, de l’industrie et du numérique (boudu rien que ça !). Les élus, Imérys et les associations seront reçus séparément. Ce rendez-vous a eu lieu le jour du bouclage de ce numéro (mardi 28 juin). Nous y reviendrons évidemment à la rentrée, mais vous trouverez ci-dessous quelques éléments qui seront apportés par les associations de défense de l'environnement.

La duplicité de Madame Deviers, maire et Conseillère départementale

Cette élue a toujours été « très » bienveillante à l'égard d'Imerys et est connue, avec le sénateur Gérard Miquel, comme étant très proche des carriers. Mais les conseillers municipaux de sa commune, Uzech-les-Oules, ne l'entendent pas de cette oreille. Alors que la première magistrate de la commune sera entendue par la mission interministérielle, les conseillers municipaux ont demandé à ce que la position de la commune (pour ou contre l'extension d'Imérys) soit tranchée en Conseil. Et le vote a été clair puisque c'est un refus à l'unanimité qui a été voté. Reste à savoir si Mme Deviers prendra sa casquette de maire ou d'élu du département lors de son audition…

 

Quelques éléments de réponse de l'PASMB

Frau 9« En tout premier lieu, il nous semble indispensable de mettre en doute l’objectivité d’une telle démarche qui à nos yeux s’apparente plus, à l’envoi d’une cohorte de légions romaines pour tenter de réduire des irréductibles gaulois, qu’à la recherche d’un éclairage objectif. En effet, la constitution de cette mission à forte implication du Ministère de l’industrie via le Conseil Général de l’Economie, dont on connaît sa servilité vis-à-vis des industriels avec les milliards qu’il leur distribue chaque année, et du Ministère de l’agriculture qui nous a déjà signifié par la voix de l’ONF son accommodement avec le projet, ne nous pousse pas à l’acceptation d’un échange soit disant « objectif ».

En effet, nous avons souvenir qu’en 1997 une délégation de notre association s’était rendue au Ministère de l’environnement, pour y rencontrer Madame Voynet alors Ministre chargée de l’environnement, nous y avons appris que c’était le Ministère de l’industrie qui avait tous pouvoirs de décision sur ces dossiers et pas le Ministère de l’environnement. Après on connait la suite… Ouverture de la carrière avec une première autorisation d’exploitation de 15 Ha sur 30ans en 2000 à la société Denaim Anzin Minéraux pour arriver aujourd’hui, c'est-à-dire 16 ans plus tard, à un résultat d’exploitation de 58 Ha en étant passés par un changement d’exploitant Imérys et deux demandes d’extension successives.

Vous comprendrez donc, que notre expérience en la matière ne nous pousse pas vers l’acceptation d’une démarche objective de votre part. Nous ne pensons pas que les mœurs politiques aient suffisamment évoluées pour avoir aujourd’hui un contexte bien différent du précédent.

Aussi, nous vous mettons en garde contre toute tentative de passage en force, sous prétextes totalement fallacieux d’intérêt général ou autres, afin de mater les résistances locales. Il faut que vous sachiez que dans cette éventualité nous sommes prêts à une occupation totale du site des vergers à graines de Lavercantière avec tout ce que cela comporte pour votre image, celle des élus, l’intérêt purement spéculatif d’Imérys mais bien plus largement de Power Corporation avec la famille Desmarais et ses actionnaires. Si d’aventure Sivens ne vous avait pas servi de leçon, nous sommes déterminés à vous en donner une nouvelle.

 

S’assurer de l’intérêt économique effectif de cette exploitation

Frau 10Depuis l’origine de cette exploitation, l’industrie met en avant les qualités du gisement de quartz de la Bouriane : profusion et pureté du minerai, zone faiblement peuplée, peu de répercussions quant à la dégradation de l’environnement, la création d’emplois et les retombées économiques pour les communes.

Certes, leur communication est bien rodée et en y ajoutant un réel soupçon de corruption, un soutien servile de l’administration centrale et de nos décideurs on a là tous les ingrédients qui nous ont conduits à un désastre économique et environnemental pour la région. Ce constat aujourd’hui a fait son chemin, beaucoup nous ont rejoins car ils ont bien compris que nous avions raison sur le fond comme sur la forme. La réalité est que nous avons affaire, ici comme ailleurs, à l’extractivisme, mal qui ronge le territoire national ».

D’un point de vue environnemental, il est clair que l’impact sur l’environnement se fait sentir. Les réhabilitations des zones en fin d’exploitation, soit disant réalisées avec brio et avec succès, sont un réel fiasco. Les terres réhabilitées sont stériles, elles ont été rendues imperméables suite aux remblayages successifs avec de l’argile pure compactée d’où s’en suivent des écoulements et des ravinements incontrôlés. Le trop plein de l’eau chargée d’argile, collectée en fond de réhabilitation est rejeté via les fossés dans le ruisseau du Dégagnazès qui subit de fait une pollution continuelle. La flore et la faune aquatique sont durement touchées. Etant donné que le frau est un aquifère qui joue un rôle direct, de par ses caractéristiques hydrogéologiques, sur l’alimentation hydrique et sur la qualité de l’eau alimentant les bassins versants, l’impact est d’ores et déjà gravissime et il est temps de cesser cette exploitation afin de préserver l’avenir.

De plus la déforestation massive qui précède la mise en chantier des zones d’exploitation porte atteinte au patrimoine forestier de la Bouriane, celui-ci ne sera jamais reconstruit du fait de la stérilité des sols restitués.

Dans cette zone on retrouve : 1 espaces naturels sensibles, 2 ZNIEFF, un patrimoine local remarquable, tous mis en danger par l’existence d’une telle exploitation industrielle. Leur intérêt patrimonial, touristique et culturel est dévalorisé. Nous avons eu à déplorer l’effondrement d’une partie du fossé du diable, fossé de franchise du prieuré du Dégagnazès, patrimoine classé et protégé. Un signalement auprès des services de la DRAC n’a provoqué aucune réaction de leur part, aucun constat n’a été fait, une plainte a été déposée et toujours aucune réaction, l’exploitant s’est donc empressé de « reconstituer », comme si de rien était la partie de fossé effondrée. Cette impunité répétée dans de nombreuses infractions n’a eu de cesse que de renforcer son arrogance et son mépris vis-à-vis des riverains.

Frau 1Il n’y a pas d’autre intérêt économique que l’intérêt financier de la famille Desmarais, à travers sa holding mondiale financière Power Corporation, via sa branche européenne Pargessa regroupant, outre Imérys, bon nombre d’actifs aussi divers que possible et pour certains d’entre eux très nauséabonds au regard de l’histoire, pour n’en citer que deux Paris Bas et Elf Aquitaine.

En termes de communication, les élans patriotiques visant à justifier l’existence même de leurs activités et leur nécessité nationale sont de nature à fausser le débat. Seul le profit et la spéculation les intéressent. Pour acquérir le leadership mondial dans leur secteur industriel, ils sont prêts à tout, afin de réaliser de plus grands profits. On peut les suivre à la trace sur tous les continents, ils sont présents sur tous les appels d’offre.

Le gisement de quartz du Lot, n’est nullement vital pour leur activité, leurs sources d’approvisionnement sont multiples et diverses dans le monde et sur des territoires qui soulèvent beaucoup moins d’oppositions.

Parler d’intérêt général à propos de leur activité est un non sens. Mais le travail des lobbies est d’affirmer le contraire, après avoir introduit sciemment cette notion dans le texte de loi proposé aux législateurs. Nous voyons bien ici, qu’il ne s’agit en rien d’utilité publique, notion pourtant indissociable de la qualification d’’intérêt général dans la loi.

Dans le parc régional du Vexin, en région parisienne, il a été qualifié d’intérêt général des projets industriels, visant à exploiter des carrières de calcaire à destination des cimenteries de ce secteur, par nécessité d’approvisionnement pour les constructions publiques du futur Grand Paris. Il n’y a aucune corrélation avec la situation présente du frau de Lavercantière car il n’y a aucune utilité publique qui prévale. Mais nous savons bien que les lobbies ne sont pas à une contradiction près quand il s’agit d’emporter une décision. Comme par hasard, dans la même filiale, la bien nommée Pargessa, on retrouve associés Imérys et les ciments Lafarge, ne bénéficient-ils pas tous deux des mêmes conseils en stratégie et en communication en terme de synergie de groupe ?

Frau 6

La création d’emplois, longtemps fer de lance dans l’argumentation d’Imérys pour justifier sa présence industrielle sur le site, chiffre gonflé et déformé à sa guise, vient récemment d’être révélé officiellement par la préfecture, dans le cadre de la commission locale de suivi de la carrière, via des sources incontestables : 23 emplois. Le ratio : destruction irréversible de l’environnement, intérêt économique mis à mal et nombre d’emplois créés faible y compris en termes de qualité, est largement battu en brèche.

Les retombées pécuniaires à destination des communes sont dérisoires, au regard de ce que coûtent et coûteront à la collectivité, premièrement les réparations de la destruction de nos infrastructures routières communales et départementales, et ensuite la gestion collective des terrains instables abandonnés par l’exploitant aux générations futures.

Nous constatons que, depuis l’autorisation de mise en circulation sur les routes des camions de plus de 40 tonnes, lors de la dernière autorisation d’extension, pour transiter sables et graviers qui ne sont pour Imérys, soit disant, que des substrats de carrière, l’état des voies communales et départementales s’est très fortement dégradé, au point de compromettre la sécurité des transports collectifs (transports scolaires) et individuels, sur ces axes. Nous avons eu à déplorer plusieurs renversements de ces camions, sur la D 25, qui repartaient en charge du site de chargement de la carrière.

Le patrimoine foncier des particuliers a perdu 40% de sa valeur depuis l’installation de la carrière et la plupart des biens sont actuellement invendables, d’où la prise de conscience des riverains d’avoir été pris en otages par nos décideurs.

La plupart des activités économiques du secteur dans le domaine agricole, agro-touristique, artisanal, touristique, ont été créées sur des initiatives privées encouragées par les élus locaux sous la bannière du « vivre et travailler au pays ». Si cette exploitation devait perdurer en s’étendant sur le frau de Lavercantière, bon nombre d’entre-elles devraient être abandonnées par suite d’incompatibilité.

Alors, quand on a l’ambition de parler d’intérêt économique effectif de cette exploitation, il convient avant toute chose de parler de la somme des intérêts financiers particuliers de ceux qui possèdent Imérys, nous avons nommé la famille Desmarais et ses actionnaires qui ne pensent qu’à leur enrichissement personnel au détriment du plus grand nombre, et de l’impact désastreux sur l’économie locale et l’environnement, tous deux incarnant véritablement l’intérêt général, celui que Jean-Jacques Rousseau appelait de ses vœux dans son contrat social.

Ce contrat social, Rousseau le voyait comme faisant suite à l’état de nature dans lequel règne le droit du plus fort. Pour lui, le droit du plus fort ne pouvait être un principe directeur d’une société car il est incompatible avec l’intérêt général, et donc avec le contrat social : « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». La dissolution du contrat social, c’est le retour à l’état de nature primitif, présocial,  « tyrannique et vain ». Une société qui rompt son contrat social ne serait plus une société.

 

Pour ceux qui prennent le train en marche, nous vous invitons à consulter le dossier central du LEA d'avril 2014 (n°80) consacré à la carrière du Frau : http://bit.ly/20lUmWl

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