Article publié dans le numéro de juin (n°101), par Bluboux, mis en ligne le 26 juin 2016
L'information a fait peu de bruit : deux entreprises et des particuliers chinois viennent d'acheter 1700 hectares de terres agricoles dans l'Indre. Cette opération foncière discrète est pourtant emblématique du problème de l'accaparement des terres et de la souveraineté alimentaire.
C'est une première en France. L'opération de rachat des 1 700 hectares par la firme HongYang (spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'équipements pour les stations-service et l'industrie pétrolière), l'entreprise Beijing Reward International Trad et deux particuliers (tous Chinois) s'est déroulée entre 2015 et 2016 sur trois exploitations agricoles différentes. Les terres sont situées sur plusieurs communes du département de l'Indre. Du blé, du colza et de l’orge y étaient cultivés. La Safer n'a pu exercer son droit de préemption puisque la vente concernait des parts de sociétés civiles agricoles (SCA), et que la Safer ne peut intervenir que dans le cas d'un rachat de fonciers à un agriculteur en propre, ou de la totalité des parts sociales d'une SCA. En ne rachetant pas l'intégralité des parts sociales, les investisseurs chinois prennent le contrôle de la SCA, mais ne deviennent pas un nouvel exploitant.
Cette opération foncière discrète inquiète le monde de l'agriculture français (entendez agro-industriel), pourtant lui-même acteur de l’accaparement des terres dans le Monde. Les rachats de terres agricoles par des multinationales sont en croissance permanente à travers le globe et posent de nombreux problèmes : pollution, expropriation des populations locales, diminution des autonomies alimentaires nationales, etc. En 2015 l'ONG « Agronomes et vétérinaires sans frontières » a publié un rapport (1) spécifique sur les mastodontes français qui pillent les terres agricoles sur la planète et Basta Mag a réalisé une enquête (2) en 2012 dénonçant l'attitude des grandes entreprises françaises qui participent à cet accaparement : Bolloré, Louis Dreyfus, Michelin, Bonduelle, Avril-Sofiprotéol, mais également des banques, le Crédit Agricole, la Société Générale, AXA, pour ne citer qu'eux, sont des acteurs actifs de ce hold-up, qui est en fait un accaparement des ressources naturelles en général, notamment des forêts et de l’eau au détriment des communautés locales et de l’environnement. Avec pour conséquences le remplacement de l’agriculture vivrière locale par la culture d’agrocarburants, la spéculation financière sur les terres agricoles, l'exode des populations locales dans les villes puis… leur migration vers l'Europe.
Les investissements chinois en Europe, tous secteurs confondus, ont atteint le record de 23 milliards de dollars en 2015, alors qu'ils étaient de « seulement » 15 milliards de dollars aux États-Unis durant la même période. Les multinationales et les investisseurs privés de la première économie mondiale cherchent à placer leur argent sur le vieux continent. Si le rachat de terres agricoles de l'Indre est une première en France, les investisseurs chinois ayant, pour l'heure, préféré racheter des domaines viticoles, il annonce d'autres investissements de même nature. Si ce mouvement s'amplifie et que les productions agricoles des SCA chinoises partent à l'export, la question de la souveraineté alimentaire sera alors posée. Il sera intéressant de voir la position du gouvernement, sachant que la France fait la même chose dans les pays du Sud… Pour information, le gouvernement australien, inquiet de l'appétit grandissant des investisseurs chinois pour les terres agricoles, vient de s'opposer au rachat par un consortium (emmené par des groupes chinois) du plus grand propriétaire foncier et premier éleveur de bovins de l'île-continent (3).
Notes
(1) « Les entreprises françaises impliquées dans l'acquisition et la gestion de grands domaines agricoles et plantations à l'international », PDF de 40 pages : http://bit.ly/24q18AM
(2) En ligne sur le site de Basta Mag, « Bolloré, Crédit agricole, Louis Dreyfus : ces groupes français, champions de l’accaparement de terres » : http://bit.ly/205Ydsb
(3) La société S. Kidman and Co est aujourd’hui un des premiers éleveurs bovins du pays avec 185.000 têtes. Elle détient 1,3 % des terres et 2,5 % du foncier agricole d’Australie.
Le Lot en Action, 24 avenue Louis Mazet, 46 500 Gramat. Tél.: 05 65 34 47 16 / [email protected]