Nombreuses sont celles et ceux qui retrouvent dans ce grand mouvement régional initié par le Syndicat des Travailleurs Andalous (S.A.T.) une manière originale certes, mais aussi éloquente, de concrétiser certains des idéaux qui animent les luttes émancipatrices et révolutionnaires depuis des dizaines d’années en Espagne et ailleurs.
Les marques de solidarité et de soutien venant de toutes parts n’ont cessé de porter les occupants de Somonte, leur rappelant chaque fois la justesse de leur combat et la nécessité de le poursuivre, ainsi que leur responsabilité au regard de ceux qui n’auraient pas encore pris part à cette lutte.
En dépit de cela, et malgré les efforts répétés des journaliers qui placent tous leurs espoirs dans cette occupation, des difficultés majeures ont régulièrement jalonné l’histoire de Somonte jusqu’à aujourd’hui.
Le principal changement s’est produit en septembre 2013 avec le retrait de deux responsables syndicaux qui jusqu’alors tenaient fermement les rennes du projet. Leur départ, tout en libérant un espace pour l’autogestion, a aussi créé un vide en ce qui concerne les moyens matériels et de communication. Les actuels occupants ne sont pas affiliés au Syndicat Andalou des Travailleurs, et ont occupé Somonte quasiment depuis le début.
Ils nous ont chargé de communiquer en France sur leur situation parce que nous avons vécu plusieurs mois avec eux, au printemps 2013 et en 2014, partageant leur quotidien, leurs espoirs, leurs désillusions, leurs difficultés, et parce que nous avons déjà prouvé de plusieurs manières notre engagement à leurs côtés. Bien que l’image de Somonte parvenant en France soit le plus souvent romantique et édifiante, il est évident qu’une occupation, de cette ampleur de surcroît, n’est jamais simple.
Pendant plus d’un an, les occupants ont été confrontés à deux " professionnels " de la lutte, un couple expérimenté et sans scrupule, qui ont su abuser de la confiance du syndicat et se rendre indispensables aux yeux des autres militants grâce à leurs talents d’orateurs et à leurs compétences politiques et agricoles. Ils ont très vite entrepris d’accumuler les responsabilités et de répartir les tâches avec autorité, ainsi que d’écarter les militants qui ne partageaient pas leur vision du projet.
Dès le printemps 2013 des voix ont commencé à s’élever, et bientôt cinq des permanents sur la ferme, après une année à supporter la reproduction des mécanismes utilisés par les classes dominantes, exigèrent la publicité des comptes, la mise en commun des savoirs, la tenue régulière d’assemblées avec prises de décisions collectives et l’organisation horizontale du travail sur la ferme. Après trois mois de déchirements internes, et sans que ces voix aient été clairement entendues au sein du S.A.T, ce dernier a décidé pour tasser l’affaire que tous quittent Somonte pour quelque temps, y compris ceux qui depuis les premières heures luttaient pour une vraie réforme agraire.
LA TERRE A CEUX QUI LA TRAVAILLENT !!!
Au cours de l’hiver 2013-2014, pour continuer à bénéficier de l’usufruit des terres publiques de Somonte, le syndicat s’est engagé auprès de la Junta de Andalucia à semer en céréales la totalité de la surface cultivable, dessinant par là-même avec quelques-uns de ses membres une autre voie pour l’occupation, très éloignée de sa position initiale qui est, rappelons-le, " la terre à ceux qui la travaillent ". Il est effectivement visible que le syndicat (qui se serait bien contenté d’une occupation symbolique en 2012) freine des 4 fers la reprise de l’activité maraîchère après l’abandon du potager cet hiver. C’est pourtant la seule manière actuellement de donner du sens à une véritable réforme agraire, puisqu’elle permet de ramener des fonds propres chaque semaine en attendant les moissons, et par là-même de donner envie à des militants de tous horizons ou à des travailleurs andalous au chômage ou en difficulté de s’installer durablement sur la ferme. Car sans cela, il est évident que les lieux vont finir par tomber en ruines (la dégradation des infrastructures est déjà importante), et l’occupation retomberait alors à un niveau symbolique, pour finir ensuite comme une coopérative semi-privée et en monoculture, comme cela s’est déjà vu en Andalousie.
C’est pourquoi, ne pouvant se résigner à abandonner la lutte et leur projet, les journaliers les plus désintéressés et déterminés ont réinvesti les lieux fin janvier 2014, découvrant la ferme dans un état déplorable après un semi-abandon de plusieurs mois.
Depuis que les anciens responsables sont partis en emportant leur toute-puissance mais également caisses, contacts, matériel, etc, le S.A.T. tarde à s’engager aux côtés des journaliers sans expérience politique, peu habitués aux rouages de la machine syndicale, alors que leur volonté ne s’est arrêtée devant aucun des nombreux obstacles qui se sont présentés devant eux depuis qu’ils se sont installés sur la ferme avec l’idée d’y vivre nombreux et dignement.
Aujourd’hui la petite dizaine de permanents sur la ferme savent plus que jamais ce pourquoi ils luttent. On retrouve à Somonte de la joie dans les regards, et on peut de nouveau assister à des assemblées égalitaires, à la tenue de comptes publics en temps réel, à une répartition juste et autonome du travail, à la liberté totale d’expression et d’opinion. Mais les temps sont durs car les potagers repartent à zéro, tout comme les relations avec les comités et groupes de soutien, la diffusion des informations, la trésorerie, l’acquisition de matériel... Aucune nouvelle de Somonte n’a été publiée depuis septembre 2013, personne actuellement dans le monde entier ne possède la nouvelle adresse électronique indiquée ci-dessous, et le seul média dont disposent les occupants est une page facebook dont le profil est pour l’instant privé (il faut avoir un compte facebook pour y accéder !!!) et qu’ils peinent à alimenter, n’ayant plus internet à la ferme.
Dans ces conditions, il est apparu comme une évidence que nous devions nous engager à diffuser ces informations pour réorganiser le soutien autour du projet de réforme agraire à Somonte, qui est à présent relancé avec un immense élan de sincérité et de générosité par ses occupants.
Nora et Julo, militants aux côtés des travailleurs journaliers de Somonte
cachaloco [at] riseup.net
Contact Espagne : somontejornalero [at] gmail.com / facebook_ somonte jornalero
En plus de diffuser au maximum toutes ces informations concernant cette nouvelle phase d’occupation, les travailleurs journaliers de Somonte nous ont chargé d’organiser un périple en France au cours duquel l’un d’entre eux, Rafael, viendrait à la rencontre des membres de projets collectifs à vocation sociale, politique, écologique, culturelle.
Cette tournée est prévue sur toute la durée d’octobre 2014 (à partir du 5 octobre et jusqu’au 5 novembre). Nous nous chargeons de tous les déplacements de Rafael ainsi que de la traduction de ses interventions.
Les buts de ces rencontres pourraient être de faire le point sur leur lutte, mieux connaître leur situation, échanger avec vous sur les problèmes qu’ils rencontrent et leurs solutions, élargir les problématiques à d’autres luttes comparables, créer un moment de convivialité et de solidarité et leur offrir une aide logistique et matérielle (diffusion d’infos, organisation d’événements, création de caisses de soutien, achat de matériel,...). Ces rencontres pourraient associer conférences, concerts, projection video ou photo, repas, vente de tee-shirts etc. D’autre part, pour qu’il s’agisse d’un véritable échange, Rafael et nous-mêmes nous tenons entièrement prêts à participer à des ateliers ou chantiers d’un ou plusieurs jours sur vos lieux de lutte, de manière à découvrir de nouvelles pratiques exportables à Somonte.
N’hésitez pas à nous contacter si cette démarche vous inspire...
Vous pouvez diffuser largement ce document sur vos réseaux... Et n’oubliez pas : c’est le moment ou jamais d’aller passer quelques vacances militantes et sportives sous le soleil de Cordoue, ou bien d’organiser de nouveau un soutien fort autour de Somonte, depuis vos lieux de lutte et de rencontres favoris !
A bientôt, en France ou en Andalousie !
Un grand merci d’avance...
Historique :
4 mars 2012 : première occupation de Somonte, visant à empêcher la vente de cette ferme publique à de riches propriétaires terriens. Le S.A.T. Souhaite s’en tenir à une occupation symbolique.
26 avril 2012 : la région d’Andalousie ordonne l’expulsion des occupants.
27 avril 2012 : moins de 24 heures plus tard, la ferme est de nouveau occupée. Une assemblée générale de plusieurs centaines de personnes décide l’occupation active et durable du site ainsi que la mise en production des 460 Ha de terres cultivables.
4 mars 2013 : au bout d’un an d’occupation la ferme est en pleine activité. Les soutiens sont nombreux, de loin comme de près, ce qui permet de développer un potager entièrement irrigué de 5 ha, de cultiver 150 ha de céréales, de planter 200 oliviers et 1500 chênes-verts et chênes-lièges, de pourvoir une banque de graines, d’installer une serre, un poulailler ainsi qu’une bergerie comprenant 30 brebis ainsi qu’une dizaine de chèvres. Une quinzaine de membres permanents vivent sur la ferme à ce moment-là, dont les journaliers encore présents en 2014.
Avril 2013 : début de la vente à Cordoue des paniers garnis des produits de la ferme, ce qui s’ajoute aux ventes sur les marchés des villages voisins.
14 mai 2013 : plantation de 30 arbres fruitiers.
Juin 2013 : des occupants de Somonte avec l’appui de membres du S.A.T. exigent de la part des responsables du projet la transparence des comptes, une organisation égalitaire et une petite allocation pour leurs nécessités essentielles.
Août 2013 : ces revendications n’aboutissant pas, les tensions internes s’accentuent et divisent l’occupation en deux camps.
15 septembre 2013 : Javier Ballesteros et Lola Alvarez abandonnent Somonte et le S.A.T., en fournissant des comptes qui se sont avérés incomplets. Par contre, ils conservent une partie du matériel offert par les groupes de soutien ou acquis en commun, ainsi que les listes de tous les contacts et des clients de l’AMAP de Cordoue, mots de passe du blog et du facebook, empêchant ainsi toute continuité dans l’occupation.
Octobre 2013 : les autres occupants permanents sont sommés de quitter la ferme à leur tour. Des militants du S.A.T. sont embauchés pour semer les 460 ha en céréales et "surveiller" les bâtiments. Les locaux, le bétail et le potager souffrent d’un cruel manque d’entretien et d’attention.
Janvier 2014 : retour sur place des premiers occupants. Le projet de réforme agraire reprend son sens et bénéficie d’un nouvel élan, avec le soutien tardif du syndicat. Lola Alvarez et Javier Ballesteros n’ont toujours pas reparu.
1er mai 2014 : le S.A.T. célèbre à la ferme le Jour des Travailleurs-euses et le second anniversaire de l’occupation de Somonte. Les dernières réserves d’argent ont permis d’acheter des plants et du matériel de labour et d’irrigation, les ventes de paniers à Cordoue et sur les marchés ont repris doucement, le potager est resplendissant sur trois hectares, le troupeau reprend du poil de la bête, 250 nouveaux tee-shirts sont sérigraphiés à la ferme, et les journaliers gagnent chaque jour en légitimité.