Des paysans bretons s’en sortent bien… en changeant l’agriculture

Reporterre, par Marie Astier, mis en ligne le 4 novembre 2013

Plutôt que de casser des poternes d’écotaxe, les Bretons feraient mieux d’interroger le système productiviste qui les a conduit à l’impasse et à la crise. En Loire-Atlantique, des paysans ont choisi d’en sortir - et ils s’en sortent bien !


- Reportage, Fercé (Loire-Atlantique)

"Mes parents sont arrivés ici en 1966, j’avais dix ans", commence Patrick Baron. "On avait cinquante hectares et trente vaches." Il montre une vieille bâtisse de pierres : "Au début, on habitait là. Le pré arrivait au pied de la maison et il y avait une mare, comme dans toutes les fermes de l’époque. Les bêtes venaient boire dedans."

Désormais, la petite maison de pierres est cernée de grands hangars de tôle et de parpaings. L’étable s’est agrandie. Patrick Baron (photo du chapô) a repris l’exploitation de son père. Il a 70 vaches, 120 truies et 100 hectares. Au fond, deux grands bâtiments gris abritent les porcs : c’est l’associé de Patrick qui s’en occupe.

A 57 ans, patrick est toujours resté fidèle à son village : Fercé (Loire-Atlantique), situé à cinquante kilomètres de Rennes. « Ce qu’on a vécu ici, la Bretagne a connu la même chose. » Il se souvient des débuts de ses parents dans les années 1960 : « C’était le tout début de la politique agricole commune. On a vu arriver le maïs, les phytosanitaires, le suivi technique... » A l’époque, ces nouvelles techniques paraissent faire des miracles : « Dès qu’on mettait un peu d’engrais sur des terres qui n’en avaient jamais reçu, l’effet était immédiat. Les rendements augmentaient ».

« Comme tout le monde, on a suivi », raconte-t-il. « Chaque année, on augmentait le nombre de vaches. Puis on a changé de race. Avant dans la région on était sur des races traditionnelles : des Normandes ou des Maine-Anjou. Tout ça a été remplacé par des Prim’Holstein. » Une vache d’Europe du Nord, réputée pour être « la Formule 1 de la production laitière ». « Le fonctionnement est simple, précise-t-il. Vous lui donnez à manger du maïs, vous lui mettez des compléments alimentaires avec les tourteaux de soja qui arrivaient des Etats-Unis et du Brésil à bon marché par les ports, et ça produit du lait en quantité. »

Puis Patrick se rembrunit. « C’est là qu’on a commencé à travailler pour les autres. La banque qui nous prête pour acheter du matériel, les concessionnaires agricoles qui nous vendent la mécanisation, les marchands d’aliments… Et pour nous, il reste les miettes. »

Son exploitation était en système intensif : "Les animaux sont nourris 365 jours par an sur le stock, à base du maïs qu’on cultive." Puis il s’est rendu compte que ce système n’était pas économiquement viable. "Les animaux restaient en bâtiment. On utilisait le tracteur pour leur amener l’aliment, pour ressortir leurs déjections, pour cultiver le maïs..." A trop utiliser le tracteur, on finit par trop dépenser en carburant.

Patrick a donc décidé de rendre son exploitation "économe", même s’il reste en système intensif. "Il faut limiter les dépenses, donc tous les achats extérieurs : carburant et aliments, notamment le soja importé", précise-t-il. Première mesure, il a remis les vaches au pré : "Elles vont chercher leur nourriture toutes seules et leurs déjections vont directement dans le champ !". A midi, elles rentrent spontanément à l’étable pour le déjeuner.

Deuxième mesure, il faut que le nombre de bêtes soit adapté à la surface de l’exploitation. Il faut avoir assez de champs pour épandre les déjections, mais aussi pour produire l’alimentation du bétail. "Ici, on est arrivés à un équilibre", se satisfait Patrick.

Mais il y a encore mieux, selon lui. Il propose d’aller chez un collègue passé en agriculture biologique, à quelques kilomètres de là. La petite route fait des lacets dans un paysage valonné. Une prairie ici, quelques vaches par là, un champ de maïs un peu plus loin... Patrick Baron arrête la voiture au sommet d’une colline : "Regardez comme c’est beau !" Puis il repart, désigne un hameau le long de la route : "Ici, avant, il y avait cinq fermes. Maintenant il n’y en a plus qu’une".

Représentant de la Confédération paysanne dans son département, il a toujours suivi de près les élections agricoles : « En 1983 en Loire-Atlantique, il y avait 33.000 chefs d’exploitation électeurs inscrits à la chambre d’agriculture. En 2013 il n’y en avait plus que 8.500. » Son village de Fercé aussi a été touché : l’INSEE décomptait 35 exploitations agricoles professionnelles en 1988. Il n’y en avait plus que 21 en 2000.

En revanche, leur taille n’a cessé d’augmenter. Patrick reconnaît avoir participé au mouvement : « On s’est agrandi, passant de cinquante à cent hectares, en profitant des départs en retraite de trois exploitants. Ils travaillaient en couple donc on a fait disparaître six emplois ! ». Autour de Fercé, les exploitation s’agrandissent, les paysans disparaissent. "Il n’y a plus d’emploi, les gens partent, c’est catastrophique pour la vie des communes", regrette Patrick.

Pourtant aujourd’hui, son exploitation est considérée comme plutôt petite : "Quand la nouvelle génération s’installe elle multiplie par trois l’outil de départ : on passe de 50 vaches à 150, de 150 truies à 1 000." Sauf que l’augmentation de la taille des exploitations ne suffit plus à palier les disparitions : "Pourquoi GAD ferme son abattoir à votre avis ? Mais parce que la production n’est plus là ! La baisse du nombre d’agriculteurs entraîne une baisse des volumes."

Patrick gare la voiture à Rougé, chez Jean-Michel Duclos. Celui-ci élève cinquante vaches en bio. Sur ses cent hectares, quatre-vingt douze sont des prairies. Ses animaux y pâturent neuf mois sur douze. En comparaison, Patrick n’a que trente hectares de prairies.

En ce moment de crise, Jean-Michel est fier de montrer son dernier investissement, un immense séchoir à foin pour stocker sa récolte en prévision de l’hiver : "Cela améliore la qualité du fourrage".

Son exploitation est encore plus économe que celle de Patrick : "On a un coût de mécanisation très bas et très peu d’intrants. On n’achète pas de fertilisants, pas de semences, juste quelques céréales pour nourrir les bêtes à un autre producteur."

Le point commun entre Patrick et Jean-Michel, c’est qu’ils ont dit non au "Produire plus". "C’est très difficile d’y échapper, ils nous le répètent tout le temps !" Mais qui "ils" ? "Les coopératives surtout, répond Patrick. Elles sont en compétition. Elles ont investi dans des outils de transformation comme les abattoirs. Cela coûte cher. Pour rentabiliser il faut faire du volume."

Jean-Michel désigne un papier qu’il vient de recevoir de la coopérative agricole Terelevage. "Regardez, ils proposaient déjà un bâtiment d’élevage qui s’appelle le ’Palace’. Maintenant c’est le ’Grand Palace’, pour mettre encore plus de bêtes !" Le document promet "un gain de temps de 35 %" et de "réduire les coûts de 40%".

Patrick renchérit : "Et cette coopérative possède un abattoir qu’elle est obligée de fermer un jour par semaine, parce qu’elle ne reçoit pas assez de volume ! Ca leur coûte très cher. C’est pour cela qu’elle essaye de convaincre les agriculteurs de produire plus."

Sur la table, Jean-Michel montre aussi le dernier numéro de L’Avenir Agricole. Parmi les titres de Une : "Lait : produire plus, mais comment ?" L’agriculteur s’en amuse : "Et pourtant, je suis abonné à ce journal parce qu’il est indépendant des syndicats !"

Sur le chemin du retour à Fercé, Patrick admet qu’il pense depuis longtemps à cesser l’intensif. "Mais une exploitation, c’est un paquebot, c’est difficile de changer de cap. On des emprunts, un système de production, du matériel à amortir..." Et puis dans moins de deux ans, Patrick prend sa retraite. Mais il a su transmettre l’envie à son fils, Antoine. "Les choses ont toujours été claires, je veux être paysan", affirme ce dernier.

Indépendant de l’économie du pétrole

Avec le fils de l’associé de Patrick et leurs épouses, ils vont reprendre la ferme et la passer en bio. Les vaches produiront un peu moins de lait. Ils vont réduire drastiquement le nombre de porcs, de cent vingt à une vingtaine, pour vendre la viande en circuit court.

Et rester dans l’idée d’avoir une exploitation "économe". "On veut limiter tous nos achats extérieurs, explique Antoine. Les engrais, les phytosanitaires, le carburant... On veut au maximum être indépendants de l’économie du pétrole." Pour un passage en douceur, ils viennent s’installer sur la ferme en avril pour travailler avec leurs pères pendant un an. Puis Patrick et sa femme Marie quitteront la ferme : "Les enfants récupèrent la maison de l’exploitation, nous irons prendre notre retraite ailleurs."


Source et photos : Marie Astier pour Reporterre.

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