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Nous sommes stupéfiés et offensés par un article co-signé par Jose Graziano da Silva, Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), et Suma Chakrabarti, Président de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), publié dans le Journal de Wall Street le 6 septembre 2012. Dans cet article, ils appellent les gouvernements et les organisations sociales à adopter le secteur privé comme « moteur principal » de la nécessaire croissance de la production alimentaire globale.
(Pour signer la déclaration, contactez [email protected] ou [email protected])
Nous sommes stupéfiés et offensés par un article co-signé par Jose Graziano da Silva, Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), et Suma Chakrabarti, Président de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), publié dans le Journal de Wall Street le 6 septembre 2012. Dans cet article, ils appellent les gouvernements et les organisations sociales à adopter le secteur privé comme « moteur principal » de la nécessaire croissance de la production alimentaire globale.
Bien que les propos des deux dirigeants de ces deux influentes agences internationales fassent spécifiquement référence à l’Europe de l’Est ainsi qu’à l’Afrique du Nord, ils appellent également clairement à une augmentation au niveau mondial des investissements dans le secteur privé et dans l’accaparement des terres. Stipulant que le secteur privé est efficace et dynamique, ils appellent les compagnies privées à « doubler leurs investissements dans les terres elles-mêmes, les équipements et les semences ». Du même coup, les auteurs de l’article écartent les paysans ainsi que les quelques politiques qui les protègent, sous prétexte qu’ils constituent des fardeaux empêchant tout développement agricole, c’est pourquoi ils devraient être éliminés. Pour ce faire, ils pressent les gouvernements de faciliter le développement des grandes industries agroalimentaires. Leur article fût publié dans le contexte d’une conférence tenue conjointement par la FAO et la BERD à Istanbul le 13 septembre 2012, évènement qu’ils décrivent comme étant la rencontre la plus grande et la plus importante des compagnies et décideurs en matière d’agroalimentaire.
Dans leur article, Graziano da Silva et Chakrabarti font un nombre d’allégations biaisées qui occultent la réalité concernant l’agriculture et l’alimentation. Ils présentent la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan comme des exemples où des compagnies agroalimentaires « ont réussi à transformer les terres dévastées des années 1990 (…) pour faire de ces pays les plus grands exportateurs de céréales actuels ». Mais ils ne mentionnent pas que les statistiques officielles de ces trois pays montrent que les petits producteurs et les paysans et paysannes sont plus productifs que les grandes compagnies agroalimentaires.
Les paysans et les petits producteurs, y compris les femmes, sont responsables de plus de la moitié de la production agricole de la Russie, tout en occupant seulement le quart des terres agricoles. En Ukraine, les paysans et petits producteurs et productrices produisent 55% de la production agricole et ce, sur seulement 16% des terres agricoles, alors qu’au Kazakhstan, c’est 73% de la production agricole qui est produite par les paysans et fermiers sur la moitié du territoire du pays. Le fait est que ces pays sont nourris par leurs paysans et paysannes, ce qui est aussi vrai à travers le monde. Partout où les données officielles sont disponibles, comme aux États-Unis, en Colombie et au Brésil, ou dans les études conduites en Asie, en Afrique et en Amérique Latine, l’agriculture paysanne se révèle plus efficace que les larges industries agroalimentaires.
Contrairement à ce que le Directeur Général de la FAO prétend, ceux qui ont réellement la capacité de nourrir le monde sont les paysans et les paysannes du monde entier. L’expansion de l’agroalimentaire n’a fait qu’exacerber la pauvreté, détruire la possibilité de vivre dignement en milieu rural, augmenter la pollution et la destruction environnementales, et ramener le fléau de l’esclavage ainsi que de récents épisodes de crises alimentaires et climatiques.
Pour les mouvements sociaux et les paysans et paysannes du monde entier, il est inacceptable et même incompréhensible qu’un Directeur Général de la FAO promeuve de la sorte la destruction de l’agriculture paysanne ainsi qu’une augmentation de l’accaparement des terres. Ces allégations sont d’autant plus troublantes qu’elles arrivent après trois ans de travail prudent et acharné par La Via Campesina et d’autres organisations en vue de l’élaboration des directives volontaires de la FAO protégeant les communautés contre les accaparement des terres. L’article arrive aussi après que Graziano da Silva ait, durant sa campagne pour la direction de la FAO, assuré à plusieurs répétitions aux organisations paysannes qu’il s’engageait à promouvoir et valider l’importance de l’agriculture paysanne ainsi que le rôle critique que les petites fermes doivent jouer dans la production alimentaire.
Le langage utilisé par Graziano da Silva et Chakrabarti est choquant. Des phrases comme « fertiliser la planète avec de l’argent » ou « faciliter la vie de tous ceux qui souffrent de la faim » remettent en question la capacité de la FAO de maintenir la rigueur nécessaire ainsi que l’indépendance face aux grandes industries agroalimentaires en vue d’accomplir son travail et remplir le mandat des Nations unies d’éradiquer la faim et d’améliorer les conditions de vie des populations rurales.
Nous nous demandons ce que la FAO veut dire par « Année Internationale de l’agriculture familiale » lorsque son Directeur Général déclare que les obstacles ralentissant l’expansion de la production agricole sont « (le) niveau relativement élevé de protectionnisme, (le) manque d’irrigation correcte, (et les) petites fermes de taille peu économique ». Cette vision ainsi que l’asservissement de la FAO aux demandes et aux intérêts des cupides investisseurs minent tout le travail de conciliation mené durant ces dernières années entre les organisations paysannes et la FAO. Et ceci soulève la question de savoir pourquoi la FAO n’a pas développé une proposition d’action concrète et efficace pour promouvoir l’agriculture paysanne et familiale comme réponse fondamentale à la crise alimentaire globale qui enrichit, une fois de plus, les banques transnationales et les grandes entreprises. Nous nous demandons où iront les familles paysannes si ces plans de transformation de leurs terres en méga-fermes industrielles se réalisent ?2
Au-delà de l’enjeu de la FAO abandonnant sa mission, nous exprimons également une profonde préoccupation concernant le rôle actif que joue la BERD dans la promotion, et les bénéfices qu’elle retire, d’investissements dans les accaparements de terres et la prise en charge de l’agriculture par les grandes compagnies agroalimentaires. La position de la BERD est encore plus dangereuse maintenant qu’elle a élargit sa zone d’opération en Afrique du Nord.
Ce qui est aujourd’hui nécessaire pour l’agriculture et la planète est tout à l’opposé de ce que proposent Chakrabarti et Graziano da Silva. L’humanité et ceux souffrant de la faim ont besoin que des zones rurales et agricoles, où vit la moitié de la population mondiale, soient protégées et promues—parce que l’agriculture paysanne est plus efficace et productive, parce qu’elle produit au moins la moitié de la production alimentaire globale ainsi que la majorité des emplois en zones rurales, et finalement parce qu’elle refroidit la planète.
Les moyens de subsistance des paysans, paysannes et peuples indigènes, ainsi que leurs systèmes de production alimentaire, ne peuvent pas être détruits pour créer une nouvelle source de profits gigantesques pour un groupe restreint d’élites. Nous avons besoin de réformes agraires complètes et efficaces qui remettent les terres et territoires aux mains des populations rurales. La marchandisation et l’accaparement des terres doivent être arrêtés et renversés. Nous n’avons pas besoin d’industries agroalimentaires ; nous avons besoin d’un plus grand nombre de communautés de familles paysannes et autochtones vivant en pleine dignité et dans le respect.
Les paysans et les paysannes nourrissent le monde
Les industries agroalimentaires se l’accaparent
1http://online.wsj.com/article/SB10000872396390443686004577633080190871456.html. Traduction non officielle ici : http://farmlandgrab.org/post/view/21019.
2 Voir, par exemple, James Cusick, "We’ll make a killing out of food crisis, Glencore trading boss Chris Mahoney boasts", The Independent, Londres, 23 août 2012, http://www.independent.co.uk/news/world/politics/well-make-a-killing-out-of-food-crisis-glencore-trading-boss-chris-mahoney-boasts-8073806.html ; Tom Bawden, "Barclays makes £500m betting on food crisis", The Independent, Londres, 1 septembre 2012, http://www.independent.co.uk/news/business/news/barclays-makes-500m-betting-on-food-crisis-8100011.html ; et Peter Greste, "Rising food prices hit Nairobi slums", Al Jazeera, Doha, 6 septembre 2012, http://www.aljazeera.com/video/africa/2012/09/201296195748591887.html.
Dans leur article, Graziano da Silva et Chakrabarti font un nombre d’allégations biaisées qui occultent la réalité concernant l’agriculture et l’alimentation. Ils présentent la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan comme des exemples où des compagnies agroalimentaires « ont réussi à transformer les terres dévastées des années 1990 (…) pour faire de ces pays les plus grands exportateurs de céréales actuels ». Mais ils ne mentionnent pas que les statistiques officielles de ces trois pays montrent que les petits producteurs et les paysans et paysannes sont plus productifs que les grandes compagnies agroalimentaires.
Les paysans et les petits producteurs, y compris les femmes, sont responsables de plus de la moitié de la production agricole de la Russie, tout en occupant seulement le quart des terres agricoles. En Ukraine, les paysans et petits producteurs et productrices produisent 55% de la production agricole et ce, sur seulement 16% des terres agricoles, alors qu’au Kazakhstan, c’est 73% de la production agricole qui est produite par les paysans et fermiers sur la moitié du territoire du pays. Le fait est que ces pays sont nourris par leurs paysans et paysannes, ce qui est aussi vrai à travers le monde. Partout où les données officielles sont disponibles, comme aux États-Unis, en Colombie et au Brésil, ou dans les études conduites en Asie, en Afrique et en Amérique Latine, l’agriculture paysanne se révèle plus efficace que les larges industries agroalimentaires.
Contrairement à ce que le Directeur Général de la FAO prétend, ceux qui ont réellement la capacité de nourrir le monde sont les paysans et les paysannes du monde entier. L’expansion de l’agroalimentaire n’a fait qu’exacerber la pauvreté, détruire la possibilité de vivre dignement en milieu rural, augmenter la pollution et la destruction environnementales, et ramener le fléau de l’esclavage ainsi que de récents épisodes de crises alimentaires et climatiques.
Pour les mouvements sociaux et les paysans et paysannes du monde entier, il est inacceptable et même incompréhensible qu’un Directeur Général de la FAO promeuve de la sorte la destruction de l’agriculture paysanne ainsi qu’une augmentation de l’accaparement des terres. Ces allégations sont d’autant plus troublantes qu’elles arrivent après trois ans de travail prudent et acharné par La Via Campesina et d’autres organisations en vue de l’élaboration des directives volontaires de la FAO protégeant les communautés contre les accaparement des terres. L’article arrive aussi après que Graziano da Silva ait, durant sa campagne pour la direction de la FAO, assuré à plusieurs répétitions aux organisations paysannes qu’il s’engageait à promouvoir et valider l’importance de l’agriculture paysanne ainsi que le rôle critique que les petites fermes doivent jouer dans la production alimentaire.
Le langage utilisé par Graziano da Silva et Chakrabarti est choquant. Des phrases comme « fertiliser la planète avec de l’argent » ou « faciliter la vie de tous ceux qui souffrent de la faim » remettent en question la capacité de la FAO de maintenir la rigueur nécessaire ainsi que l’indépendance face aux grandes industries agroalimentaires en vue d’accomplir son travail et remplir le mandat des Nations unies d’éradiquer la faim et d’améliorer les conditions de vie des populations rurales.
Nous nous demandons ce que la FAO veut dire par « Année Internationale de l’agriculture familiale » lorsque son Directeur Général déclare que les obstacles ralentissant l’expansion de la production agricole sont « (le) niveau relativement élevé de protectionnisme, (le) manque d’irrigation correcte, (et les) petites fermes de taille peu économique ». Cette vision ainsi que l’asservissement de la FAO aux demandes et aux intérêts des cupides investisseurs minent tout le travail de conciliation mené durant ces dernières années entre les organisations paysannes et la FAO. Et ceci soulève la question de savoir pourquoi la FAO n’a pas développé une proposition d’action concrète et efficace pour promouvoir l’agriculture paysanne et familiale comme réponse fondamentale à la crise alimentaire globale qui enrichit, une fois de plus, les banques transnationales et les grandes entreprises. Nous nous demandons où iront les familles paysannes si ces plans de transformation de leurs terres en méga-fermes industrielles se réalisent ?2
Au-delà de l’enjeu de la FAO abandonnant sa mission, nous exprimons également une profonde préoccupation concernant le rôle actif que joue la BERD dans la promotion, et les bénéfices qu’elle retire, d’investissements dans les accaparements de terres et la prise en charge de l’agriculture par les grandes compagnies agroalimentaires. La position de la BERD est encore plus dangereuse maintenant qu’elle a élargit sa zone d’opération en Afrique du Nord.
Ce qui est aujourd’hui nécessaire pour l’agriculture et la planète est tout à l’opposé de ce que proposent Chakrabarti et Graziano da Silva. L’humanité et ceux souffrant de la faim ont besoin que des zones rurales et agricoles, où vit la moitié de la population mondiale, soient protégées et promues—parce que l’agriculture paysanne est plus efficace et productive, parce qu’elle produit au moins la moitié de la production alimentaire globale ainsi que la majorité des emplois en zones rurales, et finalement parce qu’elle refroidit la planète.
Les moyens de subsistance des paysans, paysannes et peuples indigènes, ainsi que leurs systèmes de production alimentaire, ne peuvent pas être détruits pour créer une nouvelle source de profits gigantesques pour un groupe restreint d’élites. Nous avons besoin de réformes agraires complètes et efficaces qui remettent les terres et territoires aux mains des populations rurales. La marchandisation et l’accaparement des terres doivent être arrêtés et renversés. Nous n’avons pas besoin d’industries agroalimentaires ; nous avons besoin d’un plus grand nombre de communautés de familles paysannes et autochtones vivant en pleine dignité et dans le respect.
Les paysans et les paysannes nourrissent le monde
Les industries agroalimentaires se l’accaparent
1http://online.wsj.com/article/SB10000872396390443686004577633080190871456.html. Traduction non officielle ici : http://farmlandgrab.org/post/view/21019.
2 Voir, par exemple, James Cusick, "We’ll make a killing out of food crisis, Glencore trading boss Chris Mahoney boasts", The Independent, Londres, 23 août 2012, http://www.independent.co.uk/news/world/politics/well-make-a-killing-out-of-food-crisis-glencore-trading-boss-chris-mahoney-boasts-8073806.html ; Tom Bawden, "Barclays makes £500m betting on food crisis", The Independent, Londres, 1 septembre 2012, http://www.independent.co.uk/news/business/news/barclays-makes-500m-betting-on-food-crisis-8100011.html ; et Peter Greste, "Rising food prices hit Nairobi slums", Al Jazeera, Doha, 6 septembre 2012, http://www.aljazeera.com/video/africa/2012/09/201296195748591887.html.
Photo: Jose Graziano da Silva, Directeur Général de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (Photo: FAO/Ozan Kose)