Rappelez-vous, c’était il y a cent ans ou presque, sous le gouvernement Ayrault, avant le gouvernement Valls, avant Ségolène, avant la chute de « l’aigle », le conseiller Morelle. Le 14 janvier 2014, dans sa conférence de presse de lancement du « pacte de responsabilité » conclu avec le Medef dans le dos de son électorat, le Président de la République annonçait l’avènement d’une mystérieux "grande entreprise franco-allemande" pour la transition énergétique, vite qualifiée d’« Airbus de l’énergie ».
Il était présenté comme le moteur d’une future Communauté européenne de l’énergie destiné à soutenir le développement des énergies renouvelables. Depuis cette date, c’est le grand silence. Pas un mot dans la déclaration de politique générale du Premier ministre et les travaux sur la loi de transition énergétique n’annoncent pas d’avancées majeures dans ce secteur.
Pourtant, l’idée de cet « Airbus de l’énergie » n’était pas mauvaise. Il s’agissait pour les deux plus grandes économies de l’Union Européenne (la France et l’Allemagne) de donner l’impulsion nécessaire à l’adoption d’un Paquet énergie-climat 2030 à la hauteur du défi climatique.
Il aurait permis de réaliser un début de convergence des politiques franco-allemande dans un domaine où, depuis la courageuse décision de madame Merkel de sortir du nucléaire, les deux pays divergent de plus en plus dans la manière d’envisager leur politique d’approvisionnement énergétique.
En effet, l’Allemagne s’est fixé un quota de 45 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique à l’horizon 2030 quand la France semble se satisfaire de l’objectif de 27 % pour l’ensemble de l’Union européenne. Or, « l’Airbus de l’énergie » que François Hollande appelait de ses vœux, dépend en grande partie de ces objectifs : l’Allemagne estimant inutile de s’engager sur cette voie si la France, en parallèle, ne bouge pas sur les énergies renouvelables et intensifie sa coopération nucléaire avec Londres.
En pleine crise ukrainienne, élaborer une alternative au gaz russe
Dans une période de montée de l’euro-hostilité, ce projet donnerait pourtant des armes à ce qui reste d’une opinion publique convaincue de l’utilité de l’Europe. En pleine crise ukrainienne, il démontrerait une volonté politique de construire une alternative au gaz russe. Un an avant la Conférence de Paris sur le climat, il serait un signe mobilisateur face à une échéance qui s’annonce plus que difficile.
Il permettrait enfin à l’Allemagne, qui a dopé son industrie des énergies renouvelables avec des exonérations à hauteur de 5,1 milliards d’euros, de créer un rapport de force avec la Commission européenne tout en réalisant des économies d’échelle.
Le modèle Airbus n’est certainement pas le plus satisfaisant. Il rappelle trop le Concorde, le Minitel et en général l’obsession française pour les grands projets productivistes. Mais, surtout, il ne coïncide en rien avec le modèle structurant des énergies allemandes : quatre grands groupe s’adossent au réseau très dense constitué de centaines d’entreprises petites et moyennes. Il faut multiplier les coopérations et les projets concrets dans l’éolien, le photovoltaïque, la biomasse…
Encadré politiquement et institutionnellement, ce réseau européen pour la transition énergétique deviendrait le moteur d’une industrie européenne des énergies renouvelables capable de résister à l’invasion des produits chinois.
Alors, qu’est ce qui bloque cette dynamique positive, créatrice d’emplois et qui donne du sens au projet européen ? La mauvais volonté d’EDF et d’Areva, les deux grands lobbies du nucléaire désireux de ne pas lâcher la proie pour l’ombre ; la vision pro-gaz de schiste et pro-nucléaire du ministre de l’Economie et du Redressement Productif et de celui des Affaires Etrangères ; l’incapacité du gouvernement français à relancer l’axe franco-allemand.
En vérité, un consensus conservateur et productiviste bloque tout projet d’envergure sur les énergies renouvelables en France. L’oligarchie qui nous gouverne, façonnée par l’ENA, version Promotion Voltaire, qui date du boum du nucléaire et de la première crise pétrolière, est incapable de penser au-delà de ses certitudes. C’est autant un problème culturel que politique. Il faut donc faire sauter ce verrou avant qu’il ne soit trop tard.