Les OGM se cachent dans la mutagenèse

Source : Reporterre, par Marie Astier, mis en ligne le 12 avril 2014

Une méthode de transformation des plantes, la mutagenèse, est dénoncée par les faucheurs volontaire comme produisant des OGM cachés. Ils ont "neutralisé" une parcelle de tournesol muté. Leur procès à Orléans permet de faire la lumière sur cette technique qui se répand discrètement.


- Orléans, reportage

Pas difficile de repérer le tribunal dans l’étroite rue pavée du centre d’Orléans en ce mercredi 9 avril. Il est assiégé par une cinquantaine de faucheurs volontaires, venus avec panneaux et banderoles soutenir leurs trois camarades qui doivent comparaître devant la cour d’appel dans l’après-midi. La plupart ont pendu à leur coup une petite pancarte "comparant volontaire".

Car le 24 juillet 2010, ils n’étaient pas trois mais 119 à "neutraliser" deux champs de tournesol en Touraine. Sur ces parcelles de démonstration, était plantées deux variétés de tournesol résistant à un herbicide, l’une produite par Pioneer, l’autre produite par Caussade Semences.

"Le jour de l’action, 32 personnes ont été auditionnées par la police, douze personnes ont été identifiées comme ayant participé aux faits", rappelle Fabien Houyez, l’un des trois prévenus. Lui aussi convoqué au tribunal, Bruno Strée poursuit : "Avec Fabien, nous sommes deux activistes connus des services de polices, on est aux minimas sociaux, donc ne prendre que trois personnes c’est une manière de nier notre représentativité et de nous stigmatiser."

Lors du premier procès devant le tribunal correctionnel de Tours, tous deux ont écopé de trois mois de prison avec sursis, plus 5 500 euros de préjudive moral et matériel au bénéfice des deux propriétaires des parcelles. Leur troisième collègue, André Buygrenier, agriculteur à la retraite, a été relaxé. "J’étais de dos sur les photos, ils ont dit qu’on ne pouvait pas m’identifier", s’excuse-t-il.

Matthieu Le Breton, lui, se dit "frustré" de ne pas faire partie des comparants : "Le principe des faucheurs volontaires est d’agir en plein jour, à visage découvert, avec la presse, justement pour pouvoir ensuite expliquer notre action devant la justice."

Le procès de la mutagenèse

Photo : Les trois comparants, Fabien, Bruno et André

L’enjeu central de ce procès est que les parcelles fauchées n’étaient pas plantées d’OGM (organisme génétiquement modifié) classiques, c’est-à-dire issus d’une "transgénèse" (on introduit un gène extérieur dans le génome de la plante). Cette fois-ci, les variétés de tournesol brevetées ont été obtenues par "mutagénèse" (on fait muter un gène à l’intérieur du génome de la plante) : les comparants entendent bien les faire reconnaître comme des OGM à part entière, car pour l’instant ces plantes mutées ne sont pas soumises à autorisation, contrôle, évaluation et affichage par l’Union européenne. Les faucheurs volontaires les dénoncent donc comme des OGM "cachés".

Un peu plus loin, un petit groupe se tient à part. Ce sont les soutiens des deux propriétaires des parcelles fauchées. Parmi eux François, agriculteur, répond aux questions de Reporterre : "Je viens défendre la propriété privée et le droit de travailler dans le respect de la loi. On peut s’arroger le droit d’être lanceur d’alerte, mais dans le respect de la loi. Eux ils ont détruit des champs, mais aussi des plantes et un laboratoire de l’INRA. Ils demandent des expérimentations en milieu confiné sur les OGM, puis ils détruisent les labos, c’est paradoxal !"

Il s’excuse presque que les soutiens soient moins nombreux de son côté. "On est agriculteurs, c’est un métier qui occupe beaucoup, explique-t-il. Les militants ont le temps, voyez dans ceux qui comparaissent, il y en a deux au RSA." Avant de rentrer dans le tribunal, il glisse : "Les OGM, cela fait quinze ans que les Américains en mangent, si c’était mauvais cela se saurait."

Dans la salle remplie de faucheurs volontaires, il n’y a pas assez de place pour asseoir tout le monde. Il faut d’abord décider du sort des cinquante-deux comparants volontaires. "Ils ont reconnu les faits devant la gendarmerie et ne veulent pas laisser leurs camarades comparaître seuls, plaide leur avocat, Maître Gallon. Aujourd’hui seulement trois personnes comparaissent devant votre audience. Pourquoi ? Elles ne se sont pas distinguées des autres. (...) C’est une manière de cacher qu’il y a un mouvement social qui dit non aux OGM derrière cette action."

"C’est une instrumentalisation de la justice !" proteste l’avocat des parties civiles, Maître Grognard. Depuis sa tribune, le procureur dénonce une "privatisation de l’action publique nuisible aux libertés individuelles."

Le tribunal suspend la séance pour délibérer, reviens après une demi-heure. "Les demandes de comparution volontaire sont irrecevables", déclare le juge qui préside la séance. Seuls trois prévenus vont être jugés, pour "dégradations commises en réunion."

"Nous sommes des semeurs d’alerte"

La parole est aux accusés. Honneur au plus âgé : André Buygrenier s’avance devant le tribunal. "Oui, j’ai participé à la destruction d’une parcelle, soutient-il face aux trois juges. Et sachez qu’en tant que paysan, je n’ai aucune satisfaction à détruire une récolte. Pour en arriver là, il y a un cheminement." Quand l’agriculture intensive est arrivée dans les campagne françaises, il débutait son métier. "J’y ai participé, puis je me suis interrogé et je suis passé en bio. Quand on fabrique des plantes pour résister aux pesticides, pour moi on franchit un pas insupportable."

Fabien Houyez est à son tour appelé à la barre. "Si je suis là c’est que j’assume mon acte. J’ai encore foi en la justice." S’il a fauché, c’est que "toutes les voies démocratiques ont été épuisées, on est confronté à un autisme des politiques." Il s’adresse aux deux agriculteurs dont les parcelles ont été détuites : "Ce n’est pas vous qu’on visait, ce sont les semenciers absents aujourd’hui."

"On est dans la consom’action, poursuit le troisième prévenu, Bruno Strée. Qu’est-ce qu’on met sur nos tables ? C’était un acte de désobéissance civile, nous sommes des semeurs d’alerte."

Afin de ne pas perdre un mot dans cette salle à la mauvaise acoustique, l’assistance s’est faite très silencieuse. La défense annonce six témoins. Ils ont été soigneusement choisis, car il s’agit bien de faire le procès des OGM "cachés".

Caroline Vieuille est docteur en biologie, elle vient expliquer ce qu’est une mutagénèse, ce "phénomène qui concerne une modification de l’information génétique quelque part le long du chromosome." Elle reconnaît que cela peut arriver de façon naturelle, ce qui permet aux plantes de s’adapter à leur environnement. Puis il y a des façons artificielles de provoquer des mutations génétiques. Par exemple, "on va volontairement exposer des tournesols à un herbicide pour sélectionner les descendants qui y sont résistants." Ou encore, en laboratoire, on expose les graines à des rayonnements ou des produits chimiques qui forcent la mutation. "Cela provoque des mutations aléatoires dans toutes les cellules des graines. Le plus souvent, ce sont des défauts et les plantes meurent. Pour comparer, il faut savoir que naturellement, la mutation ne concerne qu’un gène pour un million." Pour elle, l’affaire est claire : "Quand la mutation n’est pas naturelle, c’est un OGM."

Une définition appuyée juridiquement par la deuxième témoin. Pauline Verrière est juriste pour l’association Inf’OGM : "Selon le droit européen un OGM est un organisme, c’est à dire une entité capable de se reproduire, modifié de façon non naturelle. La mutagénèse rentre dans cette définition." Mais il y a une subtilité du droit, la mutagénèse a ensuite été déclarée hors du champ d’application de la directive européenne : "La Commission européenne n’a pas encore modifié la législation, mais il y a un débat pour y introduire la mutagénèse", souligne la juriste.

"Peut-on parler d’OGM ’cachés’ ?", demande l’un des deux avocats de la défense. "Oui, pour le consommateur et les agriculteurs des champs voisins, car ils ne sont pas étiquetés", répond-t-elle.

Pourtant, ces plantes mutées peuvent facilement se disséminer dans les champs voisins, indique Valentin Beauval, le quatrième témoin. Il est agriculteur et multiplicateur de semences à la retraite ; selon lui, "ceux qui plantent ces variétés tolérantes aux pesticides (VTH) exposent leurs voisins à des flux de pollen." Il conteste également le fait qu’elles permettent de réduire l’usage des pesticides : "Cela fait quarante ans que je cultive du tournesol avec des rendements supérieurs à la moyenne nationale, avec une fréquence de traitement de 0,5, alors qu’avec ces variétés VTH, on monte à 2. Car à la longue, l’usage des herbicides se traduit par l’apparition de résistances chez les mauvaises herbes."

Une affirmation confirmée par Birgit Müller, témoin suivante. Anthropologue au CNRS, elle siège également au Comité sur la sécurité alimentaire des Nations Unies. Elle a suivit de près l’évolution des pratiques des agriculteurs canadiens. "L’apparition des semences VTH de colza a largement changé leurs pratiques, affirme-t-elle. Aujourd’hui après vingt ans d’utilisation de ces variétés sur 98 % des surfaces cultivées, les agriculteurs ne peuvent plus combattre les résistances chez les mauvaises herbes." Pour elle, l’agriculture française pourrait connaître la même évolution.

Frédéric Thomas vient quant à lui aborder le problème du brevetage de ces semences. Historien des sciences et des techniques, il est chercheur à l’Institut de Recherche sur le Développement et a participé en France au Haut Conseil des Biotechnologies. "Avant, voici quel était le paysage de l’amélioration des plantes, commence-t-il. Une grande variété de petites et grandes entreprises travaillaient en coopération avec l’INRA (Institut National de la recherche agronomique) et utilisaient une très grande variété de technologies."

"Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Le secteur a connu un vaste mouvement de concentration et un oligopole détient 60 % du marché mondial des semences. Parmi ces quelques entreprises, presque toutes sont des agrochimistes. (...) Cela met en danger la diversité de notre système semencier et agricole", déplore-t-il.

Une privatisation du vivant

Sixième témoin, Daniel Evain revient sur la mutagénèse. Il a travaillé à produire des semences dans les laboratoires de Monsanto. "J’utilisais des produits toxiques pour créer des perturbations chromosomiques, décrit-il. La mutation touche l’ensemble du génome. Donc ce qui m’interroge c’est qu’il n’y ait pas d’évaluation sanitaire et toxicologique de ces plantes."

Le fait que ces variétés soient brevetées l’interroge aussi. Le système utilisé aujourd’hui, le Certificat d’obtention végétale, permet à l’inventeur d’une variété de conserver l’exclusivité de la vente pendant vingt-cinq ans, mais laisse le matériel génétique dans le domaine public. Ce n’est plus le cas avec le brevet : "Si un semencier souhaite l’utiliser pour créer une nouvelle variété, il doit obtenir une licence d’utilisation. Mais vous ne pouvez pas savoir quelles variétés sont brevetées. Donc beaucoup de sélectionneurs renoncent à utiliser des variétés sur lesquelles ils soupçonnent un brevet. On assiste à une privatisation du vivant, le matériel génétique va devenir propriété des multinationales."

Désormais agriculteur et reproducteur de semences bio, il craint aussi pour ses propres champs, qui risquent d’être contaminés si l’un de ses voisins cultive une variété brevetée. "Si ma production est contaminée, je ne pourrai pas la resemer, sinon ce serait un acte de contrefaçon puisqu’il y a un brevet."

Enfin, dernier témoin de la défense, Dominique Declaire, dentiste, vient présenter sa vision de la désobéissance civile. "Le désobéissant agit dans le cadre de la loi puisqu’il se considère comme responsable de son acte, et est prêt à en discuter devant un tribunal pour faire évoluer la loi", explique-t-elle.

C’est au tour des parties civiles de s’exprimer. En chemise à carreaux et jean, la quarantaine dynamique, Fabien Labrunie s’avance à la barre. "Je vais resituer le débat, commence-t-il. C’est assez difficile d’apprendre par la gendarmerie que des personnes sont venues chez vous casser votre travail." Il rappelle qu’il a suivi une formation "durant laquelle on m’a beaucoup intéressé à l’environnement."

Photo : Fabien Labrunie

Pour lui, les variétés de tournesols VTH permettnet d’abord d’éviter les traitements préventifs, obligatoires avec les autres variétés. Puis, s’il doit utiliser des pesticides, "cela me permet de moduler les doses et de ne traiter que par endroits. Chez moi, on est à un indice de traitement de 0,3", soutient-il. Sur son exploitation, il cultive neuf plantes différentes. Malgré cette diversité, "j’ai quand même des plantes adventices", souligne-t-il.

150 000 hectares de tournesol muté en France

Le second plaignant, M. Beauchêne, l’appuie. "Ces variétés permettent la réduction de la matière active à l’hectare !" Visiblement énervé par les deux heures des témoignages précédents, il s’adresse aux faucheurs : "Quand on a des revendications, on ne vient pas sur des propriétés privées !"

Leur avocat poursuit sur la lancée : "Il faut quand même revenir à une situation simple, il y a violation du droit de propriété privée. Le débat de fond est intéressant, mais là on est en présence d’actes délictueux commis au nom d’une obligation morale envers l’environnement."

Il rentre cependant dans le débat sur les OGM. "Nous ne sommes pas en présence d’OGM, la main de l’homme n’a fait que préciser les voies de la mutagénèse. Aujourd’hui, la culture des tournesols en cause atteint aujourd’hui 150.000 à 200.000 hectares en France. Ce combat me semble bien difficile...", conclut-il ironiquement. Dans l’assistance les faucheurs approuvent : ils sont d’accord avec lui pour la première fois depuis le début de l’audience !

C’est au tour du procureur d’entamer son réquisitoire. Il demande la confirmation des peines prononcées en première instance pour Fabien Houyez et Bruno Strée, et qu’André Buygrenier soit cette fois-ci condamné. "Cela fait des années que les faucheurs OGM fauchent, et qu’ils sont condamnés. Pourquoi continuent-ils ? C’est une stratégie de lutte contre les firmes de l’agrochimie. C’est une petite minorité qui tente d’imposer ses idées et de les médiatiser," dénonce-t-elle.

Oui ces actions de fauchage "ont abouti à de nombreux débats dans les médias et devant les tribunaux", répond le premier avocat de la défense, Me Gallon. "Et il y a eu une reconnaissance politique puisque depuis 2007 la culture des OGM est interdite en France. Enfin, c’est ce que l’on croyait. Avec la mutagénèse, les OGM sont sortis par la porte pour rentrer par la fenêtre. Notre alimentation est en train d’être accaparée par quelques grands groupes."

Et la mutagénèse sert particulièrement cette stratégie, selon l’avocat : "Lors de la rédaction de la directive sur les OGM à Bruxelles, les firmes ont bien vu qu’elles ne pourraient pas éviter un contrôle sur la transgénèse. Elles ont donc fait un intense lobbying pour exclure la mutagénèse de la réglementation."

Puis il s’adresse à ces multinationales : "Pourquoi ne viennent-elles pas à l’audience aujourd’hui ?"

Le second avocat de la défense, Me Tumerelle, revient sur les dangers de ces variétés mutées. "On fait muter l’intégralité du génome de la plante et on identifie le gène de résistance à l’herbicide. Mais on ne sait pas quelles sont les autres mutations. Il y a donc plus d’effets indésirables qu’avec la transgénèse !"

Preuve que le risque de contamination à d’autres cultures est immense, "aucune compagnie d’assurance n’accepte de l’assurer ! Le risque économique est avéré." Puis il cite les études scientifiques montrant une utilisation accrue de pesticides, les risques pour la santé, l’environnement : "Tout est dans le dossier ! Nous demandons donc la relaxe", conclut-il.

Toujours impertubables, les trois juges marquent un temps de silence. Le président prend encore quelques notes, puis annonce : la décision sera rendue le 24 juin.


Source : Marie Astier pour Reporterre.

Photos :
. chapô : Marie Astier.
. Comparants : Marie Astier.
. Schéma mutagenèse : Biodeug
. Grande culture : SOS biodiversité
. Fabien Labrunie : La Nouvelle République.
. Banderole : Alain Barreau.

Lire aussi : Les faucheurs volontaires ont pénétré au coeur du lobby français des OGM.

Carte officielle des parcelles OGM cultivées en France

Carte officielle des ogm

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