Le dernier homme de Fukushima est venu à Paris le 6 mars. Il entamait une tournée en France qui devait le mener au pied de la centrale de Fessenheim en Alsace et à Strasbourg le 11 mars, date anniversaire de la catastrophe nucléaire survenue au Japon en 2011.
Il s’appelle Naoto Matsumura. Il a 54 ans. Il a refusé d’évacuer la zone interdite autour de la centrale explosée et malgré le tsunami et l’accident nucléaire, il est resté dans son village, Tomioka. Cet agriculteur est le seul habitant autour de Fukushima.
Le photoreporter Antonio Pagnotta a pénétré plusieurs fois la zone rouge et l’a rencontré. De leurs échanges résulte un livre documenté sur la catastrophe et ses conséquences avec des éclairages qui permettent de comprendre le Japon meurtri. Il est paru en 2013 aux éditions Don Quichotte sous le titre Le dernier Homme de Fukushima.
C’est un récit touchant, à lire à petites doses pour ne pas s’irradier brutalement de malheur et de colère, un récit qui détaille la vie de cet homme avant, pendant et après ce 11 mars qui a figé le temps.
Naoto Matsumura y apparaît comme un résistant, un samouraï sans maître qui a refusé l’humiliation de l’évacuation, de l’errance et du rejet, ne garantissant même pas d’une absence de maladie dans le futur : la centrale nucléaire lui a tout pris, sa vie et ses biens. « Rester ici est ma façon de combattre pour ne pas oublier, ni ma colère ni mon chagrin » dit-il dans l’ouvrage.
En accord avec la philosophie de ses ancêtres, l’homme a continué de s’occuper de la nature irradiée qui perdure et des animaux domestiques rescapés. Chiens, chats, bœufs, veaux radioactifs ont été abattus ou abandonnés, parfois dans leur cage ou à l’attache. Jour après jour, Naoto Matsumura s’en est occupé.
La relation homme-animal est importante dans la tradition nippone, les animaux ne vivent pas à côté des hommes mais avec eux, et dans la rue comme dans les légendes, les animaux sont présents partout. L’action de Naoto Matsumura qui « tient la vie en respect » tout en suivant un cheminement intérieur relève en quelque sorte l’honneur de tous les Japonais.
Et plus même, au regard du shinto, philosophie basée sur le culte de la nature, le respect de celle-ci, l’admiration de sa beauté, la quête de pureté. Les rituels de purification sont très importants. « Des heures durant les Japonais peuvent contempler le spectacle de la nature sauvage ou la beauté des pierres et du sable d’un jardin zen » explique Antonio Pagnotta. En souillant éternellement la terre, c’est aussi des fondements spirituels que l’apocalypse nucléaire a détruit.
Partir ou rester ?
Trois ans plus tard, le 6 mars, à la mairie du IIe arrondissement de Paris, le dernier homme de Fukushima entouré d’élus et d’associatifs est à la tribune pour témoigner devant une petite centaine de personnes rassemblées lors d’un débat public. Il est 19 h passées. Ses cheveux blancs contrastent avec son teint halé. Emmitouflé dans une doudoune noire, visage impassible, il explique que « rien n’a marché ».
Selon lui, le gouvernement et Tepco, la compagnie d’électricité responsable de la centrale, ne savent toujours pas comment gérer la situation. Certaines zones ont subi trois opérations de décontamination. « Mais ce n’est pas efficace, cela ne sert à rien ». Et malgré cela, la population est encouragée à revenir sur les lieux dit-il.
Lors d’une conférence de Tepco à laquelle il s’est rendu, la compagnie a annoncé qu’il faudrait une trentaine d’années pour décontaminer. « Gros menteurs ». Le qualificatif revient souvent dans le discours de l’agriculteur. « Tepco n’a jamais eu a faire face à ce type de situation, alors comment peut-elle dire que trente ans ou quarante ans seront suffisants pour décontaminer ! Dans trente ans, plus personne ne sera responsable. Vraiment, c’est une histoire terrible ». Il ôte enfin sa doudoune et apparaît dans sa combinaison de travail bleue.
Quelques jours après l’accident des ouvriers lui ont demandé : « Pourquoi tu restes ? ». « Pourquoi devrais-je partir » a-t-il répondu. « Je n’ai rien fait de mal ». Oui, pourquoi reste-t-il à Tomioka ? « C’est peut-être mon destin » lâche-t-il. « Je connaissais l’histoire de Three Miles Island et de Tchernobyl mais je pensais que cela n’arriverait jamais au Japon, qui était le meilleur ! Avec le Japon, la France est le pays le plus nucléarisé au monde. Le prochain accident sera au Japon ou en France c’est clair », prédit-il.
C’est pourquoi il lutte contre la finance, la bureaucratie et le lobby nucléaire décidé à sauver le pays de la faillite économique au mépris de la santé des habitants comme il l’explique dans le livre.
Mais Naoto Matsumura est lui aussi décidé. « Je suis prêt à aller dans le monde entier pour m’exprimer et témoigner. Pour vous aussi, ça peut venir demain, il faut dire non au nucléaire. Il faut combattre ».
Et puis soudain, toujours impassible, il se lève. Il n’est pas 21 h. Il prend sa doudoune sous le bras et quitte la tribune bien plus tôt que prévu. La traductrice excuse et explique. Il a peu dormi. Il est très fatigué et ne se sent pas bien. Il doit partir. La salle lui fait une ovation respectueuse.