La tentation du dopage chez les jeunes rugbymen, jusqu’au cancer ?

Rue89 | par Imanol Corcostegui | mercredi 18 avril 2012 - mis en ligne par Paco

Dans le Sud-Ouest, des rugbymen ont développé un cancer qui serait lié à une créatine achetée sur Internet. Un ancien joueur raconte le dopage des ados.

 

Une mêlée lors de France-Nouvelle-Zélande à Lyon en 2006 (Gaddafi/Reuters)

L’affaire est presque passée inaperçue mais les conclusions de l’information judiciaire pourraient faire du bruit. Fin mars, un médecin du Sud-Ouest a décelé des cancers « atypiques » chez deux jeunes rugbymen de 20 et 21 ans, licenciés à Sarlat (Dordogne) et Brive (Corrèze). Il a rapproché ces deux cas des décès survenus quelques années plus tôt de deux joueurs de rugby du même âge et de la même région suite au même type de cancer.

Chez les deux jeunes aujourd’hui malades a été retrouvée une préparation dopante mélangeant créatine et anabolisants, interdite à la vente en France, fabriquée à l’étranger et achetée sur Internet.

Joint par Rue89, le procureur de Bergerac, Jean-Luc Gadaud, explique :

« Pour l’instant, aucun lien entre les cancers et la prise de substances n’a été démontré. Le pôle santé du parquet de Paris a repris le dossier parce que c’est une affaire de santé publique et que les rapprochements médicaux qui ont été faits demandent des analyses. »
 

« La contrefaçon, un maquis épouvantable »

Le pôle santé ne communique pas pour le moment. Médecin spécialisé dans le dopage, Gérard Dine est affirmatif : par le passé, la prise de produits anabolisants a pu provoquer des cancers. Il cite en exemple l’Allemagne de l’est :
« Pendant vingt ans, le dopage y a été expérimenté par l’Etat à grande échelle. L’ouverture des archives de la Stasi a permis de s’informer sur le sujet. Nombre de cancers ont été causés par la prise de produits hormonaux de type anabolisant.
Ce qui serait surprenant dans cette affaire, c’est que le cancer se soit déclaré aussi vite. Mais aujourd’hui, les produits de contrefaçon vendus sur Internet sont un maquis épouvantable. Des produits extrêmement toxiques ont produit des dégâts monstrueux en Chine par exemple. »
En attendant les conclusions de l’information judiciaire, cette affaire met en lumière une réalité doublement méconnue :
  • le dopage des jeunes sportifs amateurs. Selon l’épidémiologiste Patrick Laure, interrogé par L’Equipe le 21 mars, « 3 à 5% des mineurs ont utilisé des substances interdites dans le cadre de la pratique sportive » ;
  • Le rugby est loin d’être épargné par le phénomène. Président de SOS Ecoute Dopage, Denis Hauw constate que « comme dans le body-building, le rugby a développé une culture de l’excellence physique et musculaire. Est ancrée l’idée qu’on ne peut pas faire de la performance sans prendre de produits. »
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La carte bleue des parents ou d’un copain majeur

A 24 ans, Mathieu (son prénom a été modifié) souffre d’un problème de santé bien moins grave : une double hernie discale. Son médecin lui a dit qu’à son âge, c’était plutôt étonnant d’avoir un corps aussi fragile. La faute à une pratique du sport intensive. Ou à autre chose.
Pendant longtemps, le jeune homme a cru au rêve de devenir rugbyman professionnel. Une licence à Périgueux, un passage au pôle Espoirs de Talence (Gironde), l’usine à champions, puis dans les équipes de jeunes du Biarritz Olympique. Avant de tout arrêter, lassé par la concurrence féroce et par la prise de substances légales et illégales qu’il jugeait discriminatoire.
A 16 ans, l’été avant d’arriver à Talence, il a, lui aussi, acheté des produits sur le net : de la protéine de vache et des suppléments créatiniques, pour 150 euros à peu près, se souvient-il.
« Ce n’est pas compliqué : tu tapes “ fitness ” ou quelque chose de plus précis sur Google et tu trouves facilement une offre de produits assez dingue. Entre joueurs, on se refile des noms de site, on commande en groupe même parfois parce que ça revient moins cher.
Ensuite, il faut prendre la carte bleue des parents ou plus courant, celle d’un copain majeur, et c’est dans la poche. Il n’y a aucun regard critique de la part des jeunes, ils ne se posent pas de questions sur les effets secondaires, c’est plutôt la quête du produit miracle. »

Un système en 3 étapes

Cet été-là, c’est la seule fois où il a pris des produits risqués, assure-t-il, mais le dopage n’a cessé de lui tourner autour. Il décrit un système en trois étapes :
  • le dopage sporadique dans le club de village, une pratique désordonnée entre ados, avec la même insouciance que quand on achète sa première bouteille de vodka ou l’on fume son premier pétard ;
  • « Arrivé au pôle Espoirs, on change de dimension. La prise de produits, légaux pour le coup, devient institutionnalisée. Le train d’entraînement est très dur : on s’entraîne tous les jours, souvent deux fois par jour. La performance et la concurrence sont érigées en valeurs de base. Le médecin du centre conseille et prescrit beaucoup de produits pour rester en forme : des compléments alimentaires et des acides aminés. Les produits sont légaux, vendus en France mais on habitue son corps » ;
  • « Ensuite, on arrive en centre de formation. Là, on entend beaucoup parler du “ vrai ” dopage. Certains de mes coéquipiers s’injectaient des molécules, des produits vétérinaires, fournis par un médecin qui tournait autour du club. On parle de clenbutérol et de salbutamol, d’anabolisants de veaux et de taureaux. Tu ne vas plus rien acheter sur Internet mais essayer de rencontrer la personne qu’il faut. Le médecin te fait tes premières injections et te laisse faire ensuite. »
Aujourd’hui, Mathieu étudie en master, à la fac d’économie. S’il a toujours gardé un peu de distance avec ce système, c’est parce que le rugby n’a jamais été toute sa vie.
« J’ai grandi dans un univers culturel riche, mes parents sont enseignants et se sont toujours un peu méfié d’une pratique sportive intensive. Tout le monde n’a pas cette chance. »

L’éternelle omerta

Ce que raconte Mathieu, beaucoup n’ont pas le courage de le dire. Comme toujours dans les histoires de dopage. Interrogé par L’Equipe, Thierry Bourret, chef de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et la santé publique (OCLAESP), assure :
« L’omerta est déjà très forte dans le milieu du sport, elle l’est encore plus quand cela concerne des adolescents. »
Ancien coéquipier de Mathieu à Périgueux, Kevin Lapierre n’est pas très fan des salles de musculation. Parce que les impacts sont extrêmement violents, il a acheté des protéines l’été dernier, comme tant de rugbymen de tous niveaux.
« Tout ce qui est illégal, je n’y ai jamais touché mais j’ai acheté quelques protéines sur le site Physiocoach, qu’un autre joueur m’avait conseillé. »
Rien de bien dangereux a priori. Sauf que Physiocoach était le site d’Alain Camborde, ancien préparateur physique de Pau, venu du monde du culturisme et mis en examen en novembre pour « importation et détention de marchandises prohibées, exercice illégal de la profession de pharmacien et mise en danger de la vie d’autrui ».
Camborde a travaillé avec un nombre insensé de rugbymen professionnels. Là aussi, l’affaire est à suivre.
 

Aucun contrôle antidopage

Pour Denis Hauw de SOS Ecoute dopage, la prise devenue courante chez les jeunes de protéines et de compléments alimentaires est un sujet de préoccupation.
« Aujourd’hui, 25% des appels concernent les compléments alimentaires, c’est le sujet le plus important. Il y a de plus en plus de protéines, des produits pour récupérer, d’autres pour prendre de la masse. Les salles de musculation et les préparateurs physiques deviennent des acteurs essentiels et tous ne sont pas honnêtes. »
Comme la grande majorité des sportifs amateurs, ces jeunes rugbymen ne sont jamais soumis au moindre contrôle antidopage. Responsable de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) en Aquitaine, l’ancien chevalier blanc du cyclisme Christophe Bassons explique :
« Parce qu’il y a plus d’attente et d’enjeu financier, c’est essentiellement le haut niveau qui est contrôlé. Un club comme Sarlat, qui joue en Fédérale 3, n’est jamais contrôlé.
En Aquitaine, nous avons le droit de pratiquer entre 40 et 60 prélèvements mensuels sur toute la région pour tous les sports. En 2011, nous avons contrôlé 43 rugbymen, presque tous pros. »

La Fédération vigilante mais impuissante

La Fédération française de rugby, qui va mettre en place le passeport biologique pour les jeunes des centres de formation, assure rester vigilante mais concède qu’une partie du problème lui échappe.
Parce que la préparation physique se fait souvent en-dehors des clubs, dans les salles de muscu, et que le monde amateur, par essence composé de bénévoles, ne peut faire preuve de la même exigence que les professionnels. Christian Bagat, président de la commission médicale de la Fédé :
« La consommation de produits de contrefaçon est un phénomène qui dépasse le cadre du sport. Je le rangerais dans la même catégorie que l’alcoolisme, le tabagisme ou la prise de stupéfiants.
Ce sont des conduites à risque et certains jeunes ne prennent pas conscience du danger de cette situation. Ce problème va au-delà du dopage. C’est un problème sanitaire. »
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