Charlie Hebdo, par Fabrice Nicolino, mis en ligne le 15 novembre 2013
Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 23 octobre 2013
Ils sont si mignons. EDF veut faire durer 60 ans des centrales nucléaires prévues pour s’arrêter au bout de 30. C’est délirant, mais ça peut rapporter très gros à Proglio et à l’État actionnaire. Des milliards d’euros.
Alors voilà. C’est pas drôle, mais c’est sérieusement marrant. Le 13 octobre, le Journal du Dimanche publie une énorme connerie. Quoique. Extrait : « Selon plusieurs sources proches du gouvernement, l’État se prépare à autoriser EDF à prolonger de dix ans la durée de vie des 58 réacteurs nucléaires ». Et l’une d’elles assure même que c’est « inéluctable ». La durée de vie administrative des centrales nucléaires passerait en France de 40 à 50 ans. Après avoir déjà gagné 10 ans en 2003. La vaste machinerie se met en route, et toute la presse embraie. TF1, mais aussi Le Monde, avec juste un poil de prudence.
Présenter l’affaire comme le fait le JDD n’a au premier regard pas de sens. L’article ne cite même pas l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), pourtant la seule instance ayant le droit de donner un éventuel feu vert. Créée en 2006, l’ASN est en théorie indépendante, et peut donc envoyer bouler qui elle veut. Actuellement, elle procède tous les dix ans à une inspection de chaque centrale, et signe – ou pas – une autorisation de poursuivre l’activité pour dix années supplémentaires.
Or, et telle est sans doute l’explication du plan com’ en circulation, l’ASN tire à ce sujet une tronche de dix mètres de long. Dans L’Usine Nouvelle du 4 octobre, le patron de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, parle gentiment de « terra incognita ». C’est aussi simple que flippant : au-delà de quarante ans de fonctionnement, une centrale devient une « terre inconnue ». Et Chevet d’ajouter, non sans savoir ce qu’il fait : « EDF a déposé un premier dossier sur cette question. Pour l’instant, c’est un très gros point d’interrogation ». Le comble, c’est que tous les acteurs savent évidemment à quoi s’en tenir. Le calendrier est limpide : d’abord le dépôt d’un dossier complet d’EDF, puis une décision attendue en 2015, et pas avant. Alors, pourquoi l’article du JDD ?
La chronologie parle d’elle-même. Le 4, l’ASN joue au billard, et signale au pouvoir politique dans quelle merde nous nous trouvons tous. Les nombreux services de propagande d’EDF se mettent alors en mouvement pour contrer l’opération et appuyer tous ceux qui, dans l’appareil d’État, soutiennent sa logique. Inutile de dire qu’ils sont nombreux. Pourquoi ? À cause du blé. Les petits cerveaux d’EDF et son patron sarkozyste Proglio savent au moins lire les journaux. La France de Hollande cherche désespérément de quoi boucher les trous et faire plaisir à la Commission européenne. Or, l’opération demandée par EDF permettrait un miracle.
Et d’un, amortir le coût des centrales en cinquante ans plutôt que quarante dégagerait une marge supplémentaire annuelle colossale, peut-être pas loin d’un milliard d’euros. Et de deux, l’État se goinfrerait lui aussi avec bonheur. Depuis l’introduction en Bourse d’EDF, en 2005, l’État actionnaire a ramassé 16 milliards d’euros de dividendes. Les centrales étant par définition de plus en plus « rentables », les caisses publiques pourraient ramasser jusqu’à 2 milliards d’euros annuels en cas de passage de 40 à 50 ans.
Ne reste plus qu’une minuscule question : la sécurité. Notons pour commencer deux faits. Le premier, c’est que 48 des 58 réacteurs nucléaires français ont été mis en service entre 1978 et 1989. Sans accord de l’ASN, les plus vieux devraient fermer dès 2018, ce qui créerait une sorte de chaos, car nos bons maîtres n’ont rien prévu pour les remplacer. Le second, c’est qu’EDF, ne pensant qu’à ses résultats financiers, pousse en fait à un passage à 50 ans, suivi d’un passage à 60. 60 ans, les amis, deux fois plus que la durée prévue au départ.
Est-ce bien raisonnable ? Bien sûr que non. D’importantes parties des centrales ne peuvent être remplacées, à commencer – selon un point de vue officiel - par les cuves des réacteurs. Et bien entendu, des milliers de pièces fragiles, soumises à des radiations constantes, à l’usure et à la corrosion, ne sauraient tenir un demi-siècle. Mais EDF s’en tape, car EDF ne cesse de marquer des points en Bourse. L’économie, une mort si intelligente.
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