Source : Basta mag, par Sophie Chapelle et Ivan du Roy, mis en ligne le 18 octobre 2014
Le Lait est le fer de lance des produits de l'agro-industrie française. En bouteilles, en crèmes ou en fromages, il auréole les terroirs en colonise les gondoles des grandes surfaces dans le monde entier. Cette blanche réalité comporte pourtant des coûts cachés, ignorés des marchés, liés à un modèle de plus en plus intensif. Pollutions de l’eau, réchauffement climatique, précarité de l’emploi… L’économie du lait coûte cher à la société et à l’environnement. Une étude inédite tente d’en calculer les impacts et de lancer le débat. Car, en bio ou en AOC, produire du lait bien moins cher est tout à fait possible. Enquête et animation vidéo à l’appui, publiées sur le site de Basta mag, signées par Sophie Chapelle et Ivan du Roy. Nous en reproduisons ici quelques extraits.
En France, les produits laitiers sont partout. Ils façonnent les territoires, du bocage normand aux alpages de Savoie, en passant par les causses du Massif Central et les estives des Pyrénées. Ils s’imposent dans les rayons des grandes surfaces : lait, yaourts, fromages, crème fraîche s’offrent en grande variété au caddie du consommateur. C’est que les Français en raffolent. Ils sont les champions européens de la consommation de beurre (près de 8 kg par habitant et par an) et les vice-champions de la dégustation de fromages (près de 24 kg/hab/an) ! Et les euros coulent à flot : les produits laitiers ont généré 25,5 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2012. Soit 1 % du PIB français ! En plus, ils s’exportent massivement, presque aussi bien que le vin. 216 000 emplois en dépendent, les trois quarts dans l’élevage et un quart dans les industries de transformation. La France est le 8ème producteur mondial de lait. Cocorico ?
En plus de la richesse qu’ils créent, les produits laitiers sont parés de toutes les vertus. Leurs bienfaits nutritionnels ne cessent d’être vantés par le marketing... et les politiques publiques. « Pour les enfants, les adolescents et les personnes âgées, c’est quatre produits laitiers qu’il est recommandé de consommer », suggère ainsi la politique nationale en matière de nutrition. Le lait français et ses dérivés fromagers ou crémeux constituent aussi, en compagnie du vin, le fer de lance des appellations d’origine contrôlée (AOC), qui garantissent une production locale et de qualité – 50 AOC laitiers sont reconnues. Nos produits laitiers sont donc auréolés de bien des qualités, qu’il semble difficile de critiquer.
Chiffre d'affaire 2010 du groupe Lactalis
Et pourtant. Si la filière laitière française crée de la valeur, elle comporte aussi des coûts. De l’étable au supermarché, en passant par les entreprises de transformation, les conséquences négatives de l’économie laitière sont estimées à 7,1 milliards d’euros par an. Pour 1 euro de chiffre d’affaires, ce sont donc 28 centimes « d’impact négatif sur la société et l’environnement » qui sont générés. C’est loin d’être négligeable. Ce coût environnemental et social est évalué par un rapport très détaillé et sourcé réalisé par le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic) [1]. Celui-ci « vise à fournir une vision d’ensemble de la filière lait française et un premier ordre de grandeur de l’ampleur de ses impacts sociaux, sanitaires et environnementaux », des éléments « qui sont systématiquement ignorés par le monde économique ». Pollutions de l’air et de l’eau, contribution au changement climatique, précarité de l’emploi, déchets générés... Tout est passé au crible de la calculette, du mode d’alimentation des bovins à l’exportation de lait en poudre en passant par les emballages des produits.
C’est l’élevage qui génère le plus d’impacts. Logique : la France compte le plus grand nombre de vaches laitières en Europe. Plus de 3,8 millions de vaches laitières, dont près de la moitié broutent en Bretagne, en Pays de Loire et en Normandie, donnent chaque année 24 milliards de litres de lait. Des vaches qui engloutissent du fourrage en étable ou qui paissent librement en prairie émettent du méthane et de l’ammoniac. Le premier pèse fortement sur le climat. Le coût de l’empreinte carbone des vaches laitières est ainsi estimé à plus de 1,1 milliard d’euros. Le second contribue à la pollution de l’air. « Les bronchites chroniques, l’asthme, la fibrose pulmonaire, les affections des voies aériennes supérieures constituent la moitié des maladies respiratoires professionnelles des éleveurs », rappellent les chercheurs du Basic. Ce préjudice sur la santé et l’environnement est lui estimé à 1,4 milliard d’euros.
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Deux autres modes de production laitière, l’agriculture biologique et la production labellisée AOC (Appellation d’origine contrôlée), sont comparés au modèle laitier conventionnel. Et la différence est patente ! Les coûts cachés du lait bio descendent à 18 centimes pour 1 euro de chiffre d’affaires, et tombent à 10 centimes pour une fabrication de fromage au lait cru AOC et biologique. Trois fois moins préjudiciables qu’un fromage industriel vendu en grande surface ! « Les élevages laitiers en agriculture biologique sont caractérisés par une moindre intensification, une plus grande autonomie, des niveaux de gaz à effets de serre et d’excédents azotés plus faibles, une meilleure efficacité énergétique, ainsi qu’une meilleure qualité du sol, de l’eau et de la biodiversité », illustre le Basic. Produire de manière plus soutenable est donc possible !
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L’entreprise chinoise Synutra, deuxième groupe dans le secteur de la nutrition infantile du pays, a posé début janvier la première pierre de sa future usine de fabrication de poudre de lait à Carhaix (Finistère). Une nouvelle qui réjouit les 700 éleveurs bretons adhérents de la coopérative Sodiaal qui devront fournir 280 millions de litres de lait par an, destinés au marché chinois. Mais seront-ils prêts à en payer les coûts cachés ?
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