Source : Blog de Jean-Luc Mélenchon, mis en ligne le 19 juin 2014
Un texte un peu long de Jean-Luc Mélenchon (il est prolixe le bougre !), mais qui pose très correctement la problématique et permet de comprendre les enjeux de la réforme que tente d'imposer le gouvernement.
Cette question du Figaro, « Faut-il interdire la grève ? », est tellement révélatrice de la distribution des rôles sociaux actuels. On voit bien quelle différence de taille existe, à cette heure, entre un cheminot et journaliste du « Figaro » qui le décrie ! Le cheminot perd des journées de salaire pour le bien de tous et le journaliste du « Figaro » est payé pour défendre l’intérêt de quelques-uns. Le cheminot fait vivre à ses dépens personnels une liberté fondamentale, le journaliste du « Figaro » milite pour limiter la liberté dont il est censé être l’emblème. Mais pourquoi charger le seul « Figaro » ? Les moutons de Panurge ont plus d’un nom. En France, la presse actuelle est, pour l’essentiel, l’adversaire principal de la liberté de penser autrement, c’est-à-dire de penser tout court.
La grève à la SNCF aura commencé il y a une semaine. Les libéraux multiplient les insultes contre les cheminots comme Eric Woerth les comparant à des « Talibans ». Manuel Valls, comme un banal homme de droite, mise sur le pourrissement de la lutte et l’épuisement des lutteurs pour gagner son bras de fer. Quoi qu’il arrive, quelle que soit l’issue du conflit, il faut travailler à faire connaitre la vérité : les cheminots en grève défendent l’intérêt général. Plus cette idée gagnera du terrain plus nous tirerons d’un mal un bien. Pour cela, voici une provision d’arguments. Si cet argumentaire vous convainc, prélevez-le et faites-le connaître dans vos listes de diffusion. Une grève ? Mais pourquoi ?
Les cheminots en grève depuis le 11 juin protestent contre le projet de réforme ferroviaire du gouvernement Hollande-Valls. Le gouvernement prétend que sa réforme va « réunifier la famille ferroviaire » aujourd’hui divisée en deux entreprises distinctes. En effet, en 1997, la SNCF a été coupée en deux. Depuis, la SNCF est chargé de « l’exploitation » du réseau, c’est-à-dire de faire circuler les trains. Et une autre entreprise, Réseau Ferré de France (RFF), assure l’entretien des voies ferrées et la construction de nouvelles lignes. Ce système est absurde. C’est d’abord une absurdité technique : séparer les rails et les quais des trains donne le spectacle lamentable des quais trop larges qui doivent être rabotés. C’est aussi une absurdité financière. Dans le ferroviaire, il faut des infrastructures très lourdes pour pouvoir faire circuler des trains. La logique de l’entreprise unifiée est de regrouper toutes les activités. Le système actuel sépare l’activité qui coûte le plus, à savoir entretenir et construire des voies ferrées, de l’activité qui rapporte, à savoir faire circuler des trains. Comble de l’aberration, lors de la création de RFF, c’est cette entreprise qui a hérité de toute la dette issue des investissements de la SNCF pour construire le réseau ferroviaire français. Bilan : RFF est asphyxié par cette dette et son remboursement. Et RFF est donc incapable de financer les investissements nécessaires à l’entretien et au développement du réseau. Pour compenser, RFF augmente les droits de péages que la SNCF doit lui payer pour pouvoir faire passer ses trains. Ce qui aboutit à augmenter les tarifs pour les usagers et à supprimer les trains les moins «rentables », donc a aggraver la désertification humaine et industrielle des zones concernées.
Le gouvernement prétend que son projet va mettre fin à cette division. Il ment. Il ment pour tromper. Que le public s’y laisse prendre, c’est une chose compréhensible. Mais il n’y a aucune chance que les cheminots le croient un instant, qu’ils soient en grève ou pas.
En effet, le projet du gouvernement ne prévoit pas de regrouper les deux entreprises. Il prévoit au contraire d’éclater encore davantage le service public ferroviaire en créant une troisième structure censée chapeauter les deux autres. Pour habiller son mensonge, il propose que le sigle « SNCF » figure dans le nom des trois entreprises. Cela ne trompera que ceux qui le croiront ! Le gouvernement ne veut pas réunifier le système ferroviaire. Car pour le faire, il lui faudrait désobéir à l’Union européenne. En effet ce sont les directives et règlements européens qui imposent la séparation de la gestion des voies et des trains. Hollande veut être le « bon élève de la classe européenne ». Il obéit donc servilement aux injonctions de la Commission qui reviennent à détruire la France pan par pan.
Le but de toute cette manœuvre est l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Il s’agit de permettre à d’autres entreprises que la SNCF de faire circuler des trains. Cette ouverture à la concurrence est déjà effective pour le transport de marchandises depuis 2005 et pour les liaisons internationales de passagers depuis 2009. L’Union européenne pousse actuellement pour ouvrir à la concurrence les transports intérieurs de passagers : trains régionaux, trains intercités, TGV. L’ouverture totale à la concurrence est prévue à partir de 2019 par le fameux « quatrième paquet ferroviaire » actuellement en débat au niveau européen. Au Parlement européen, le PS et la droite l’ont déjà adopté en première lecture en février. J’ai voté contre. Un deuxième vote aura lieu dans les mois à venir. La bataille du rail n’est donc pas finie !
Dans ces conditions, il ne faut surtout pas accepter de réduire le problème soulevé par la grève à un conflit corporatif ! Les cheminots luttent pour l’intérêt général. En premier lieu parce que la concurrence, ça coûte plus cher et ça marche toujours moins bien ! Depuis des années, l’Europe et les gouvernements poussent la SNCF et RFF à être gérées comme des entreprises privées et non comme des services publics. Le résultat est aussi clair qu’ubuesque : fermetures de gares, explosion des tarifs, notamment pour le TGV, remplacement des trains par des autocars… Le bilan de la concurrence est désastreux partout où elle est appliquée. En Angleterre, elle s’est soldée par des accidents dramatiques causant de nombreux morts. En France, la concurrence est déjà appliquée pour le transport de marchandises depuis 2005. Bilan ? Depuis 2005, la part du ferroviaire a reculé au profit du transport routier. Entre 2005 et 2012, la part du ferroviaire a reculé de un point, passant de 10,6% à 9,6% des marchandises transportées. Pendant ce temps, la part du transport routier a augmenté de près de deux points, passant de 81,9% à 83,6%. Davantage de concurrence, c’est donc davantage de camions et de pollution !
Le but visé est soigneusement masqué par les vociférations contre les grévistes. Avec sa réforme ferroviaire, le gouvernement Valls organise très directement le passage à la concurrence pour le transport de passagers. Il n’en dit mot publiquement. Mais il l’a écrit noir sur blanc dans son Programme National de Réforme, un document transmis à la Commission européenne en mai 2014 sans aucune publicité ni sans que les fainéants de la plupart des médias fassent le début du commencement de leur fameux « devoir de savoir et d’informer ». J’en ai déjà parlé sur ce blog.
J’en parle de nouveau ici pour que vous voyiez bien l’articulation entre tous les éléments de la politique en cours. Voici ce qu’écrit le gouvernement Valls : « dans le domaine des transports, le projet de loi de réforme du système ferroviaire […] vise à renforcer l’efficacité de la gouvernance actuelle avec la mise en place d’un opérateur unique pour la gestion de l’infrastructure, dans une perspective compatible avec l’ouverture à la concurrence du transport de passagers. (…) Par ailleurs, la pression concurrentielle dans le secteur devrait s’accroître du fait de l’accroissement des possibilités de transport par autocar » ! La logique est claire : « être compatible » avec l’ouverture à la concurrence et « accroître la pression concurrentielle » avec les autocars !. C’est contre tout cela que se battent les cheminots.
Cette lutte est d’intérêt général. J’en donne un autre exemple. Il s’agit de la sécurité du transport ferroviaire. Il y a un an, le 12 juillet 2013, 7 personnes mouraient dans le déraillement d’un train à Brétigny dans l’Essonne. Tout le monde s’en souvient. Les cheminots eux-mêmes n’ont jamais instrumentalisé cet événement tragique. Ils voulaient d’abord savoir ce qui s’était passé. L’enquête a ensuite montré que la raison de l’accident est le mauvais entretien des voies ferrées. Ce n’est pas un cas isolé. Dans « Libération »de ce lundi 16 juin, un conducteur de TGV témoigne du mauvais entretien des abords des voies : « Je suis apolitique, pas syndiqué, je ne vais pas aux AG. Mais je vais vous dire ce que je vois de ma cabine : la direction nous parle de sécurité, mais c’est le TGV qui élague les arbres ! On a alerté dix fois et la hiérarchie fait le mort. On en a marre d’écoper dans une maison qui prend l’eau ». Tout cela est la conséquence directe de la logique financière de la SNCF et RFF, du recul du service public et de l’austérité. C’est contre cela que les cheminots sont en grève. Ils perdent leur salaire pour nos conditions de transport. Ils méritent donc notre soutien.
Une nouvelle fois, François Hollande aurait mieux fait de se taire. Vendredi 13 juin, il a cru intelligent de déclarer « Il y a un moment où il faut savoir arrêter un mouvement ». Il voulait faire référence à la phrase célèbre de Maurice Thorez en 1936. Je me permets donc de rappeler cette phrase en entier : « il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue ». Or pour l’heure, les cheminots n’ont pas obtenu satisfaction. Donc la grève dure. C’est la faute du gouvernement. Les cheminots ont exprimé leurs désaccords avec la réforme ferroviaire depuis des mois. Ils l’ont fait par deux journées de grève de 24 heures le 13 juin 2013 et le 12 décembre 2013. Ils l’ont encore fait par une manifestation nationale à Paris le 22 mai. L’idée d’une grève reconductible en juin était déjà dans les têtes à ce moment-là. Le gouvernement n’a rien voulu entendre et a tenté le passage en force. Son coup a raté. Manuel Valls a pris les usagers en otage pour se faire bien voir de la Commission européenne. Puisse-t-il le payer le plus cher possible !
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