L’austérité tue massivement : des preuves chiffrées



Alternatives Économiques | Par Jean Gadrey | 12 septembre 2013 | mis en ligne par Paco

Vive la socio-économie pratiquée par des médecins, épidémiologistes et sociologues. Après le livre des épidémiologistes Richard Wilkinson et Kate Pickett (Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, Les petits matins), en voici un autre, pas (encore ?) traduit en français : Why Austerity Kills, par David Stuckler (sociologue) et Sanjay Basu (épidémiologiste).

Je ne l’ai pas lu, mais je vais quand même vous en parler car j’ai reçu d’un membre d’Attac, Christian Lefaure, une longue et précise fiche de lecture dont je reprends des extraits ci-dessous. Elle est disponible dans sa version intégrale sous forme de fichier pdf (6 pages serrées) via ce lien :
austeritetue.pdf
Les auteurs ont cherché à comprendre comment les choix économiques et budgétaires affectent la vie et la mort, la « résilience » et les risques, pour des populations entières dans le monde.

Pour mieux comprendre ce qui se passe actuellement en Europe (aboutissant à des situations aussi opposées que celle de la Grèce et celle de l’Islande) ou aux USA et en Grande-Bretagne depuis le début de la crise des subprimes, les auteurs sont d’abord allés rechercher des informations lors de trois grandes crises antérieures:

LA GRANDE DÉPRESSION AUX USA (CRISE DE 29)

L’impact sur la santé (augmentation des suicides, alcoolisme,…) a été masqué pendant les deux premières années par la mise en œuvre de la prohibition et la forte réduction des trajets en voiture donc des accidents mortels sur la route. Mais le plus important a été le rôle du New Deal à partir de 1932.

Le new deal ne visait pas essentiellement la santé, mais il a regroupé des programmes de logement pour les sans logis, d’accès à la nourriture, d’accès aux soins spécifique pour les enfants, de création d’hôpitaux et de ce fait il a impacté directement la santé. « En comparant les séries statistiques des différents États américains [dont certains, démocrates, ont bien « appliqué » le New Deal pendant que d’autres, républicains, n’en tenaient pas beaucoup compte], nous avons pu estimer que pour 100 $ par habitant, dépensé dans le New Deal, correspondait un déclin des décès par pneumonie de 18 pour 100 000 habitants, une réduction de la mortalité infantile de 18 pour 1000 naissances d’enfants vivants, une réduction des suicides de 4 pour 100 000 habitants. »

LA CRISE POST COMMUNISTE DANS LES PAYS DE L’EST

Lorsque les régimes communistes se sont effondrés, un groupe d’économiste anglo-saxons (de la Banque Mondiale et de Harvard University) ont poussé à ce qu’il a été convenu d’appeler la ”shock therapy” ; introduire le plus vite possible le marché ultra libéral pour éviter le retour des communistes et supprimer la corruption. Il fallait en urgence libéraliser les prix, privatiser plus de 200 000 entreprises d’Etat en 500 jours et réduire drastiquement les budgets publics. Cette politique a été reprise à son compte par Boris Eltsine en Russie.

La plupart des pays de l’ex URSS (Russie, Kazakhstan, Kyrgizstan, Lituanie, Lettonie) suivirent les shock therapists. D’autres pays comme la Géorgie ou la Biélorussie, la Pologne et la république Tchèque suivirent la politique progressive.

Les résultats ont été terribles en Russie : énorme augmentation du chômage des jeunes hommes, totale absence de ressources pour les chômeurs, énorme dégradation des soins, énorme augmentation de l’alcoolisme.

En Russie l’alcool a été considéré comme la cause de 2/5 des décès d’hommes en âge de travailler dans les années 90. Soit 4 millions de morts sur l’ensemble du territoire de l’ex-Union Soviétique. A cette période un homme de 21 ans travailleur en usine avait une espérance ce de vie de 56 ans, soit environs 15 ans de moins que les managers de l’usine… In fine, on aurait eu 10 MILLIONS DE MORTS EN EXCÈS en Russie. Si l’on compare les trends de mortalité en Russie et Biélorussie, ils étaient semblables jusqu’en 1991 ; mais après la shock therapy, un grand pic s’observe en Russie, pas en Biélorussie ni en Pologne.

Les pays qui ont eu une transition plus lente et qui ont maintenu leurs systèmes de protection sociale en place ont beaucoup moins souffert en termes de santé.

On n’a, de plus, pas observé ce qu’avaient prédit les tenants de la shock therapy : si vous vous serrez la ceinture à court terme, cela permettra de croître plus à moyen terme. L’excès de morts n’a pas été gommé par une amélioration de la croissance donc de la richesse : il y a encore aujourd’hui une perte d’espérance de vie de 2 ans pour la population russe en général (passée de 68 ANS EN 1991 A 66 ANS EN 2012), car la richesse s’est déplacée vers les oligarques et est loin de profiter à tous.

DU MIRACLE AU MIRAGE EN ASIE DU SUD EST

Je vous laisse découvrir cette partie non moins passionnante de la note de lecture.
Arrivés à ce stade, les auteurs estiment que les trois crises étudiées donnent des leçons cohérentes : CE N’EST PAS LA RÉCESSION QUI INDUIT DES RISQUES POUR LA SANTÉ, C’EST VÉRITABLEMENT LA POLITIQUE D’AUSTERITÉ.

L‘ISLANDE, LA GRECE ET LES AUTRES PAYS OCCIDENTAUX

L’analyse est, ici aussi, très fouillée. Pour l’Islande, on voit comment le refus de l’austérité explique qu’il n’y a pas eu de problème de santé et que le pays est sorti de la crise. L’Islande vient d’être félicitée par le FMI qui s’est dit grandement « surpris » par ces résultats !

À l’autre extrême il y a la Grèce, qui est en plein désastre de santé publique. Le budget national de la santé a été réduit de 40% depuis 2008. Quelque 35 000 médecins, infirmières, et autres agents de la santé ont perdu leur travail. Les admissions aux hôpitaux ont fait un bond car les Grecs n’obtiennent plus de traitement courant et préventif. La mortalité infantile a augmenté de 40 %. Les nouvelles infections au H.I.V. ont plus que doublé, avec l’augmentation de la consommation de drogue en intraveineuse – et la suppression du budget pour des programmes de remplacement des aiguilles. Suite à la réduction des programmes de pulvérisation des moustiques en Grèce du sud, un nombre significatif de cas de malaria a été enregistré pour la première fois depuis le début des années 70. Le virus du Nil a lui aussi fait sa réapparition.

Sans
Sont également analysés les cas des États-Unis depuis 2008, de la Grande-Bretagne et du Canada.
Par ailleurs, dans une publication du Lancet, les auteurs, qui ont étudié la situation en Suède, Finlande, Danemark, versus Espagne, Italie, Royaume-Uni et USA, estiment que des services véritablement proactifs pour l’emploi (ceux des premiers pays cités) peuvent neutraliser le risque de suicide dû à la récession : 100 $ investis par habitant réduiraient le taux de suicide lié au chômage d’un facteur 3 (1,2% à 0,4%) ; plus de 200 dollars par tête supprimeraient carrément le risque.

CONCLUSION

« Si les effets des politiques économiques avaient été suivis de façon aussi rigoureuse que le sont des essais cliniques, cela fait longtemps que l’austérité aurait été interdite par des Conseils d’éthique médicale »

« Ce que nous avons trouvé c’est que l’austérité, avec des réductions des dépenses sociales et de santé drastiques, immédiates, indiscriminées, n’est pas seulement vouée à l’échec, mais elle est aussi mortelle. »
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