Tlaxcala, le 10/03/2016 | Traduit par Jean-Marie Réveillon | mis en ligne par Paco
Laïki Enotita (l’Unité Populaire) est une nouvelle organisation politique, un front, doté d’un nouveau projet de résistance et de renversement de l’ordre établi des mémorandums, pour le salut du peuple et du pays, qui traverse l’un des chapitres les plus sombres de son histoire récente.
Nous sommes nés pendant l’été brûlant de 2015, après la grande avancée du « NON » écrasant au référendum et la douloureuse déception de la capitulation du gouvernement SYRIZA-ANEL face au chantage des créanciers.
Aucune défaite n’est irrévocable. Le peuple grec est passé par des épreuves beaucoup plus dures, mais il a réussi à se relever et à ambitionner à nouveau un avenir de liberté et de justice. Nous nous inspirons de la vision libératrice et démocratique de Rigas Feraios, de l’épopée populaire de l’EAM et de la Résistance Nationale, de la lutte contre la dictature et du soulèvement de Polytechnique.
Nous sommes fidèles aux meilleures traditions des mouvements d’émancipations qui ont changé le monde, et nous en tirons les leçons : le « Printemps des peuples » de 1848, la Commune de Paris, la Révolution d’Octobre, le combat contre le nazisme. Les révolutions en Chine et à Cuba, Mai 68, les mouvements de libération nationale qui ont secoué le joug de la colonisation. Les mouvements de résistance à l’horreur de l’économie mondialisée et à la catastrophe écologique, de l’Amérique Latine à Seattle, à Gênes et aux places des indignés.
Nous savons que l’histoire ne se répète pas, mais elle nous incite à secouer notre propre joug, celui de notre époque. Le joug des mémorandums et de la dette, qui écrase les droits sociaux du plus grand nombre et transforme la société grecque en quasi protectorat de l’UE, en laboratoire expérimental d’un néolibéralisme effréné.
C’est pour ce grand changement que combat Laïki Enotita -non dans un avenir lointain, idyllique, mais ici et maintenant. Son projet n’est pas une construction de l’esprit due à des « experts » et des « politiques » de professionnels. Il puise dans les combats du monde du travail, dans les expériences de luttes des années précédentes, mais aussi dans les combats sociaux qui se développent dans cette période. Il a l’ambition de contribuer à ce que le peuple se réapproprie la confiance en soi, en donnant des réponses immédiates aux difficultés pressantes du jour, et en ouvrant des chemins pour des changements plus profonds, à travers lesquels la perspective socialiste deviendra perspective de victoire.
Une telle démarche exige une refondation de fond en comble de la gauche. Grâce au dépassement des conceptions et des pratiques qui ont été expérimentées et ont échoué pendant les six années de mémorandum, et en particulier lors du « printemps perdu » (Titre d’un roman célèbre de Stratis Tsirkas NdT) de 2015. Grâce à l’assimilation des leçons de la dégénérescence de régimes et de gouvernements qui ont parlé au nom du socialisme. C’est à cette refondation d’une impérieuse nécessité que Laïki Enotita a l’ambition de contribuer.
Abrogation des mémorandums, effacement de la dette
Les deux partis qui ont gouverné la Grèce pendant 40 ans, la Nouvelle Démocratie (ND) et le PASOK ont construit une économie aux pieds d’argile, qui n’a pas résisté à la grande crise internationale du capitalisme développé, qui a commencé en 2008 aux USA. Les mêmes partis ont reporté sur le peuple grec la casse de la crise. Les deux mémorandums qu’ils nous ont imposés ont provoqué une catastrophe sociale sans précédent dans un pays développé depuis la deuxième guerre mondiale.
Le peuple a choisi le gouvernement SYRIZA-ANEL, parce qu’il lui avait promis d’abroger les mémorandums. Malheureusement, malgré les oscillations de départ et les fortes résistances en son sein, il a fini par franchir le Rubicon, pour voter avec les vieux partis bourgeois un troisième mémorandum, catastrophique. Sa réalisation signifie amputation des retraites, austérité accrue, pillage fiscal des couches moyennes, saisies des habitations principales, liquidation de la richesse publique. L’expérience de la métamorphose tragique de la direction de SYRIZA a montré que, sans volonté politique forte, révolutionnaire, sans un plan organisé de libération des carcans de la dette et de la zone euro, sans le soutien d’un peuple informé et résolu, il ne reste plus que la voie de l’humiliation et la soumission.
Seul un soulèvement populaire peut en finir avec les mesures antipopulaires, provoquer les restructurations politiques qui conduiront à l’abrogation des mémorandums et des accords coloniaux avec les créanciers, appuyer la suspension des paiements en vue de l’annulation de la dette « illégitime, odieuse, insoutenable » -telle que la définissent les conclusions de la commission de l’assemblée qui lui est consacrée-, ou au moins de sa plus grande partie. Nous exigerons résolument de l’Allemagne le remboursement du prêt d’occupation forcé et le paiement des indemnités de guerre.
Un travail digne et stable pour tous
Déjà, la révolution française a proclamé, il y a deux siècles, que chaque citoyen a droit à une vie et un travail digne et que ce droit prévaut sur le droit de propriété. Aujourd’hui, on nous dit que l’état n’a aucune obligation –chacun pour soi, et au diable tout le reste- et que le patron peut se débarrasser du travailleur lorsqu’il le veut, comme d’une pièce rouillée.
Une énorme quantité de capitaux reste inemployée ou se trouve gaspillée à la bourse et dans la consommation de luxe, alors qu’une multitude d’êtres humains qui veulent travailler sont condamnés au chômage -et ces deux mondes ne peuvent se rencontrer. Telle est l’absurdité suprême d’un système qui a mangé son pain et se nourrit désormais de sa propre chair.
Il est impossible de considérer comme une fatalité le fait que la nouvelle génération soit contrainte de choisir entre le chômage, l’absence de couverture sociale, un travail précaire, des contrats de travail flexibles et l’émigration. La jeunesse vit au quotidien le système de l’austérité, la barbarie du provisoire, l’angoisse de l’insécurité, de l’absence de liberté, de la misère, l’impossibilité de programmer un minimum sa vie : depuis l’école, qui se transforme en un immense centre d’examens, jusqu’à la jungle qui domine le marché du travail.
Nous luttons pour mettre fin à la récession, pour que le pays s’engage sur le chemin du développement avec un nouveau modèle socio-économique. Pour la création d’emplois à temps plein, stables et décemment rémunérés. Ce qui suppose une augmentation conséquente des investissements publics ; des investissements productifs des entreprises d’importance stratégique, nationalisées ; un soutien aux petites et moyennes entreprises sur la base du respect des droits des travailleurs et de l’augmentation du nombre des emplois ; un renforcement des entreprises associatives et coopératives et des formes d’autogestion ; des embauches indispensables dans l’Education publique, la Santé, l’Aide sociale, l’administration locale ; une diminution du temps de travail sans diminution de revenus, dans la perspective des 35 heures, en lien avec les perspectives de développement du pays ; la lutte contre la précarité, le rétablissement des conventions collectives ; le renforcement de l’inspection du travail et un OAED (Agence pour l’emploi NdT) unique, public, orienté vers la création d’emplois et le soutien véritable aux chômeurs.
Produire autrement, dans l’intérêt des travailleurs et de l’humanité, en préservant l’équilibre écologique et la survie de la planète.
La « Grèce forte » qu’on nous a promise quand nous avons été intégrés d’abord dans la CEE puis dans l’UE et dans l’euro, s’est révélée être une illusion d’optique, un mirage. L’industrie, l’économie agricole, et d’une manière générale le tissu productif se sont rétractés. Ce qui est arrivé, c’est un « développement » avec date de péremption, fondé sur le surendettement, au profit de l’oligarchie et de ses partenaires étrangers.
Nous pouvons faire autrement ! La Grèce n’est pas un état voué à la mendicité comme le prétendaient les gouvernements serviles d’après la guerre civile et comme le répètent aujourd’hui, avec d’autres mots les puissances mémorandaires. Elle dispose d’une jeune génération instruite, de travailleurs manuels et intellectuels habiles et créatifs. Elle possède des ressources minières, des sources d’énergie, traditionnelles ou renouvelables, un climat avantageux, une terre fertile, un savoir-faire technologique dans des branches industrielles importantes, anciennes ou nouvelles, des sites naturels remarquables et des monuments de la civilisation. Elle mérite beaucoup mieux que d’être traitée comme une mendiante qui tend la main aux bailleurs de fonds internationaux.
La sortie du labyrinthe des mémorandums et de la dette libèrera d’immenses ressources susceptibles d’étayer un changement radical de notre modèle productif. En prenant pour gouvernail non les intérêts du capital, mais le droit des travailleurs, le droit du plus grand nombre, à une vie digne. En opérant le tournant vers les nouvelles technologies, pour une production industrielle et agricole de haute qualité. En substituant aux importations la production du pays, en soutenant la consommation populaire, dans l’intérêt des producteurs grecs et de l’environnement. En renforçant résolument l’éducation et la recherche. En imposant des clauses de respect des droits des travailleurs pour les investissements publics et privés. Dans le cadre d’une planification démocratique et d’un contrôle social.
La dimension écologique de cette adaptation est décisive, de façon à mettre en place un nouveau modèle productif viable. Comme l’a également admis la conférence des 196 pays à Paris, le danger d’une catastrophe planétaire incommensurable est tout à fait réel, si la température augmente de 1,5° à 2° au-dessus de celle de l’ère industrielle. La réponse à cette perspective de mauvais augure suppose de profonds changements, en particulier dans les énergies fossiles et les transports, mais aussi des interventions résolues contre l’urbanisation qui gagne du terrain, contre la destruction de la nature, et le déboisement.
Partageons les richesses, non la pauvreté
L’offensive néolibérale a fait monter en flèche les inégalités, au plan international comme en Grèce, à des niveaux que nous n’avions pas connu depuis des dizaines d’années. Même pendant les sept années de la crise, les ultra-riches n’ont pas cessé de devenir plus riches, en s’enrichissant de la destruction de notre pays, comme les trafiquants de marché noir sous l’occupation.
Ça suffit ! Le moment est venu que paient pour la crise ceux qui le peuvent et qui en sont les responsables, et non les habituelles bêtes de somme du budget de l’état. La répartition de la richesse au profit de ceux qui produisent n’est pas seulement affaire de justice sociale. C’est aussi une condition du redressement économique.
Nous nous engageons à soutenir retraites et salaires et à mettre un terme définitif à leur diminution ; à augmenter immédiatement le salaire minimum à 751 euros mensuels ; à rétablir les conventions collectives libres et la prorogation de leur validité sur six mois ; à fixer les retraites les plus basses et les indemnités de chômage à 80% du salaire de base ; pour un système d’assurance public, social et universel, à caractère redistributif, avec la sécurisation des recettes pour soutenir les retraites et une recapitalisation des caisses de retraite, qui ont été pillées pendant des dizaines d’années par le capital et ses représentants politiques.
Nous luttons pour un système fiscal juste, simple et stable, instrument de redistribution en faveur des couches sociales les plus pauvres, avec suppression de l’immunité fiscale pour le grand capital multinational ; pour une augmentation de la fiscalité sur les profits des entreprises, à un niveau au moins égal à la moyenne de l’UE ; pour une exemption fiscale de toutes les catégories de revenus jusqu’à 12500 euros ; pour une TVA à un chiffre, au moins pour les marchandises de consommation populaire ; pour une annulation du ENFIA (Impôt immobilier, lourd et indifférencié, imposé par les mémorandums NdT) et pour un impôt touchant exclusivement les grandes fortune immobilières ; pour la levée des mesures dévastatrices qui ont été imposées aux agriculteurs et aux professions libérales.
Retirer aux banquiers le contrôle de l’économie, pour le prendre en main.
L’hypertrophie du capital financier est l’une des manifestations les plus malsaines du capitalisme moderne. Banques, bourses et fonds pirates exploitent le salarié et, en dehors de toute production, conduisent à la faillite ménages et professions libérales. Le triangle banques, médias, personnel politique constitue le trou noir de la collusion des élites qui engloutit toute notion de démocratie. Collusion des élites que le gouvernement n’affronte pas, comme il le prétend de façon démagogique, mais qu’il se contente de chercher à contrôler.
Après la crise de 2008, en Grèce et à l’échelle internationale, les gouvernements ont sacrifié les travailleurs pour sauver les banquiers. Les gouvernements pro-mémorandums PASOK et Nouvelle Démocratie ont transféré deux fois sur le dos du peuple grec la charge du sauvetage des banques-zombi, en les laissant qui plus est aux mains des entrepreneurs qui les avaient conduites à la faillite. Au lieu de nationaliser le système bancaire, le gouvernement SYRIZA-ANEL s’est engagé lui aussi dans une troisième recapitalisation, ce qui a pour résultat de le remettre presque gratuitement aux fonds étrangers, pour un coût de 40 milliards au détriment des contribuables et de deux milliards au détriment de leurs caisses de retraite.
Nous ne reconnaissons pas ce pitoyable abandon, il ne nous engage pas, et ses responsables doivent en rendre compte devant la justice. Un nouveau gouvernement du peuple, émancipé, nationalisera – socialisera toutes les banques systémiques sans indemnités pour les vautours étrangers et les grands banquiers grecs, banques qui ont été sauvées avec le sang et la sueur des contribuables. Le Crédit Agricole et la Banque Postale seront refondés, et les responsabilités pour leur scandaleux transfert devront être établies.
Le nouveau système bancaire public fonctionnera sous conditions de transparence et de contrôle social. Il apparaîtra comme un centre stratégique du redressement productif. Il fournira les liquidités dont les entreprises ont tant besoin et avancera dans la voie d’une véritable sisachthia (remise de dette NdT), et d’une régularisation généreuse des dettes des petites et moyennes entreprises, ainsi que de celles des ménages. L’habitation principale sera totalement protégée, et un filet de protection sera mis en place également pour la petite et moyenne propriété immobilière.
Défendre les biens publics face au tsunami des privatisations, pour un secteur public différent, sous contrôle social.
Les trois mémorandums ont créé un tsunami de confiscation spoliatrice de la richesse publique, qui avait été accumulée avec le travail et la créativité de nombreuses générations de travailleurs. Entreprises publiques génératrices de profits, ports, aéroports, réseaux de distribution de l’énergie, des transports et des communications, hydrocarbures et services cruciaux pour la société sont transférés presqu’à l’œil à des intérêts privés et étrangers, qui n’ont pas mis un seul euro dans la création de cette richesse publique. Dans les cas les plus significatifs, il ne s’agit même pas de privatisation, mais de transfert d’entreprises publiques grecques à des entreprises d’état étrangères.
Avec le troisième mémorandum, toute la richesse publique, évaluée à une hauteur de 50 milliards d’euros est transférée pour être liquidée dans une caisse totalement contrôlée par les « Institutions ». Il s’agit d’un nouveau scandale, dont l’ampleur et les conséquences n’ont d’équivalent que dans un pays qui a subi une défaite militaire écrasante.
Dans la Grèce que nous envisageons, les services sociaux fondamentaux -éducation, sécurité sociale, transports, l’eau, l’énergie et les communications- seront des biens publics, accessibles à tous et non des domaines de spéculation privée. Le TAIPED et le nouveau fond de privatisation imposé par Schaüble au gouvernement Tsipras seront immédiatement supprimées. Les privatisations seront annulées et des entreprises d’importance stratégique passeront au secteur public, pour être refondées et fonctionner dans l’intérêt de tout le peuple.
Nous luttons pour remettre debout le système de santé qui a été mis en miettes, en mettant l’accent sur les soins de base, avec une industrie pharmaceutique et une distribution nationale. Pour un enseignement public démocratique, gratuit, à tous les niveaux, avec pour préalable une augmentation radicale de son budget.
Nous avons le projet d’un système d’éducation différent, sans ségrégation sociale, visant le développement de l’esprit critique, de la culture générale et de connaissances approfondies, et non la promotion de savoir-faire invertébrés. Avec une augmentation importante de personnel, avec un accent mis sur l’enseignement de soutien et l’apprentissage des langues étrangères, les enfants des familles populaires auront la possibilité d’acquérir le bagage nécessaire au jeune du 21ème siècle, sans perdre de temps ni d’argent dans les établissements privés. Nous considérons qu’il faut une voie d’accès différente à l’enseignement supérieur, qui ne brisera pas les jeunes et
qui n’appauvrira pas le fonctionnement de l’école. Nous luttons pour un enseignement universitaire à l’opposé du traité de Bologne et des directives de l’OCDE, qui soumettent l’université aux nécessités du marché.
Une réelle révolution culturelle constituera un élément fondamental du changement. La crise et les mémorandums ont entraîné une cruelle désertification culturelle, qui dévalue et dessèche notre vie. La culture du marché écrase le producteur, anéantit le citoyen et n’exalte que le consumérisme, au moment où de surcroît le revenu populaire se réduit. Elle dissout toutes les identités collectives et les espoirs, pour laisser à la place l’individu isolé, avec ses peurs.
Nous avons plus que jamais besoin d’une nouvelle ouverture culturelle. Pendant la durée de la crise, des artistes, nouveaux et anciens, ont créé une œuvre culturelle significative avec des moyens très réduits. Ces forces vives, le gouvernement de la gauche combattante soutiendra leur initiative et leur créativité, en reconstituant les institutions publiques culturelles, en garantissant leur autonomie et en leur fournissant les ressources nécessaires.
Se libérer de la prison monétaire de l’euro, pour une nouvelle Grèce dans une autre Europe.
« Laïki Enotita est le parti de la drachme », braillent nos adversaires. Ils mentent effrontément. Laïki Enotita n’est mariée ni à la drachme, ni à l’euro, ni à aucune autre monnaie. Elle lutte pour la sortie du pays de la barbarie sociale des mémorandums et de la dette, avec un programme global pour la défense du peuple grec et contre ceux qui l’exploitent et l’humilient. Cependant, la dure expérience acquise par le premier gouvernement SYRIZA a démontré de la plus cruelle des façons la simple vérité : il n’y a pas d’issue pour le peuple au sein de la zone Euro.
Parce que l’euro n’est pas simplement une monnaie. L’euro, c’est Schaüble, Dijsselbloem, la troïka, les mémorandums. La zone Euro n’est pas « notre maison commune ». Elle est celle qui nous prend nos maisons et plonge notre vie dans le noir. Elle est un déni total de la démocratie et de la souveraineté populaire, l’institutionnalisation de la dictature du capital financier.
Le coup d’état de juillet 2015 a convaincu la grande majorité des citoyens -indépendamment de ce qu’ils votent aux élections et de ce qu’ils considèrent comme réaliste aujourd’hui- que les souverains de l’Eurozone ne sont pas des « alliés », mais des terroristes de l’économie et des gangsters politiques. Une préparation sérieuse, organisée pour échapper à cette prison monétaire constitue une condition nécessaire, et non suffisante, bien sûr, de la mise en œuvre de tout programme progressiste.
Le passage à une monnaie nationale opéré par un gouvernement de la gauche et des forces populaires combattantes est un préalable pour nous libérer du cauchemar de la dette et des mémorandums. Il rétablira le contrôle sur le budget de l’état et sur la fourniture de liquidité, d’une nécessité vitale, avec la banque centrale comme prêteur en dernier recours. Il constituera un facteur de renforcement des exportations et de substitution progressive des importations par des produits locaux. Les discours sur les dangers d’hyperinflation et sur le risque de ne plus être en mesure de fournir les produits de première nécessité (nourriture, carburants, médicaments) sont au service des tentatives de l’ordre établi -économique et politique- d’effaroucher les gens avec des scénarios irréalistes « d’hiver économique post atomique ».
Les difficultés de la période de transition ne seront pas « techniques ». Elles proviendront de la réaction certaine de l’oligarchie et de ses partenaires étrangers, qui verront que leurs intérêts sont menacés par les forces populaires. Mais ces difficultés nous les trouverons devant nous de toute façon, à la moindre tentative de changement progressiste, avec l’euro ou sans euro. Par conséquent, elles ne peuvent constituer un prétexte à l’asservissement. Au contraire, elles peuvent être affrontées par un gouvernement armé d’audace et d’un projet concret, par un peuple informé et organisé, avec de solides structures de solidarité sociale.
Sur ce chemin, la Grèce se trouvera confrontée avec les politiques et les rouages de l’UE. Nous visons le renversement de cet empire moderne par les peuples d’Europe et la construction à sa place d’une nouvelle union d’états souverains, avec des politiques progressistes et le socialisme pour horizon. Mais il faut que quelqu’un commence. Le peuple grec, qui étouffe et réclame d’urgence une issue, ne peut attendre passivement jusqu’à ce que la situation change en mieux dans d’autres pays.
Si par la force des choses se pose le dilemme « affrontement avec l’actuelle UE ou abandon de notre programme progressiste et radical », nous choisirons sûrement la première option et nous appellerons le peuple à se prononcer par référendum sur le maintien ou non de notre pays dans l’UE. Nous sommes sûrs qu’une Grèce debout, insoumise et déterminée trouvera des alliés précieux. Avant tout chez les peuples d’Europe, qui verront dans nos tourments leurs propres tourments et dans notre combat leur propre combat. Et cela favorisera des alternatives progressistes en Europe, tout en apportant à notre cause des soutiens robustes.
Solidarité à l’égard des migrants, contre le racisme et le néofascisme
Les guerres impérialistes qui ont disloqué les états et ont précipité les peuples dans le chaos des guerres civiles dans toute la région du Moyen-Orient, combinées à la faim que répand avec elle la mondialisation d’un capitalisme brutal, ont provoqué une inqualifiable catastrophe humanitaire et de grandes vagues migratoires. Le spectacle des enfants morts rejetés par la mer Egée interroge chaque conscience civilisée.
Tout aussi repoussante est la réaction de « l’Europe unie ». Parties prenantes des guerres impérialistes et de la destruction des économies nationales, les maîtres de l’Europe élèvent des murs, dressent des barrages, envoient des troupes, mobilisent jusqu’à l’OTAN contre les migrants et les réfugiés. A droite et chez les « socialistes » on vote ensemble des lois qui donnent aux autorités le droit de confisquer les bijoux des réfugiés, ravivant des souvenirs effroyables des camps de concentration du troisième Reich.
Ces développements ne sont pas tombés du ciel, et ne sont pas dus à la pression de l’extrême droite montante, qui trouve en la personne des migrants des boucs émissaires pour le chômage et la criminalité. Dès le début, les accords de Schengen et de Dublin ont été mis au service de la logique de l’Europe-forteresse, qui préservait le droit de n’accepter que les migrants dont elle voulait, comme une force de travail bon marché, et de repousser les autres comme de « nouveaux barbares », qui menacent prétendument le nouvel Empire. Les puissants en Europe géraient depuis des années les populations de migrants dans leurs mégalopoles comme des citoyens de seconde catégorie, entassés dans les ghettos dégradés du chômage et de la précarité, objets d’humiliations et de contrôles policiers quotidiens.
Le gouvernement doit rejeter le chantage qui s’exerce contre lui -pour qu’il applique une politique agressive sur le problème des réfugiés et qu’il transforme la Grèce en un vaste camp de concentration pour migrants- sous la menace d’une exclusion de l’espace Schengen. Au bout du compte, nous n’avons rien de grave à perdre en sortant de Schengen, alors que nous renoncerions à toutes les marques d’humanité, de civilisation, et de respect des nations si nous capitulions aussi sur ce sujet.
Laïki Enotita soutient sur la question des réfugiés une politique inspirée par l’humanisme et la solidarité. Il combat pour que les réfugiés disposent de point de passage sûrs et pour qu’ils soient répartis proportionnellement dans les états membres de l’UE. Au lieu de centres de rétention, nous demandons des structures d’accueil ouvertes, avec des conditions de subsistance dignes. Nous réclamons que soit abattu le mur de l’Evros, qui multiplie les morts dans la Mer Egée. Nous sommes catégoriquement opposés à la militarisation du problème, à l’implication de l’OTAN et à une police des frontières européenne, qui traiterait les réfugiés comme des criminels. Nous demandons l’attribution de la nationalité aux enfants de migrants qui naissent en Grèce et l’accès pour tous à l’enseignement, à la santé et aux services publics.
Le peuple grec, aussi mal en point qu’il soit à cause de la crise, a donné de grandes leçons d’humanisme et de solidarité à l’Europe du racisme et de la xénophobie. Les secouristes en mer, les navigateurs à la voile, les pêcheurs, des milliers de gens solidaires, hommes, femmes et enfants, dans les îles de la Mer Egée, en Attiques et dans les villes de Grèce ont apporté, apportent une grande aide morale et matérielle aux réfugiés et aux migrants. Au monde inhospitalier et divisé du capitalisme mondialisé et de la guerre, Ils répondent par le monde que nous avons en commun, le nôtre.
Nous nous trouverons en première ligne dans les initiatives de solidarité à l’égard des réfugiés et dans le combat contre le racisme et la xénophobie, en particulier (mais pas exclusivement) pour ce qui est de l’organisation criminelle néofasciste Aube Dorée. Les courants d’extrême droite xénophobes sont une honte pour la Grèce, un pays qui a envoyé des générations de migrants « dans les usines d’Allemagne et les mines de Belgiques » (vers d’une chanson populaire NdT) et qui ne peut oublier que plus de six millions et demi de la diaspora vivent et travaillent hors de nos frontières.
Une Grèce indépendante et souveraine
Les anciens partis de pouvoir ont réduit la Grèce à l’état de colonie économique de l’Allemagne et en aire d’intérêt géostratégique pour l’Amérique. Il était inévitable qu’après son tournant pro-mémorandum le gouvernement SYRIZA-ANEL suive leurs traces en matière de politique extérieure et de politique de défense. La Grèce suit comme un bon petit soldat les grandes puissances de l’OTAN, qui ont apporté la guerre et la haine nationaliste dans les Balkans, déclenché une nouvelle guerre froide contre la Russie en Ukraine, disloqué l’Irak, la Lybie et la Syrie. Le gouvernement renforce la dépendance énergétique de la Grèce vis-à-vis d’Israël et de la Turquie, les deux alliés fondamentaux des USA dans la région, ruinant ainsi les possibilités de voies alternatives, en particulier avec la Russie. Il conclut des accords d’amitié et de collaboration avec l’Egypte, légitimant le régime sanglant de Sissi.
Laïki Enotita combat pour que la Grèce sorte de la machine de guerre de l’OTAN et pour l’éviction du pays des bases américaines. L’armée grecque défendra l’intégrité territoriale du pays et ne participera désormais à aucune intervention impérialiste. Nous écartons catégoriquement l’ingérence de l’OTAN dans le problème des réfugiés, ce qui implique, avant toute autre choses, la reconnaissance de nos droits souverains dans la Mer Egée, alors qu’on encourage les revendications expansionnistes de la Turquie.
Nous sommes partisans d’une solution juste et durable au problème chypriote, pour une Chypre unie et indépendante, sans forces d’occupation ni bases étrangères. Nous recherchons une politique de paix et d’amitié avec la Turquie et les pays des Balkans, dans le respect des frontières existantes. Nous nous déclarons en faveur d’une résolution pacifique des différents bilatéraux sur la base du droit international, y compris du droit de la mer. Nous exigeons l’arrêt immédiat de l’intolérable coopération militaire avec Israël et la reconnaissance pleine et entière de l’état palestinien.
L’indépendance nationale ne se confond pas avec l’isolement. Au contraire. Une Grèce souveraine pourra développer avec le monde entier des relations d’égal à égal et respectueuses de l’intérêt réciproque. Mais nous invaliderons des accords qui seraient destructeurs pour le travail et l’environnement, comme le célèbre TTIP, qui place les entreprises multinationales au-dessus des états nationaux.
Un changement de régime pour le peuple
De nos jours, la démocratie risque de se réduire à une coquille vide. Le peuple vote NON, et on lui impose le coup d’état du OUI. Les députés sont contraints de voter des projets de lois de centaines de pages qui changent la vie de millions d’hommes sans même les lire. Bruxelles et Berlin décident même de la façon dont fonctionneront les pharmacies et des heures auxquelles ouvriront les magasins. Tout cela éloigne toujours plus de la politique, et crée un terrain favorable à la démagogie d’Aube dorée.
Nous avons besoin d’un nouveau « changement de régime » (allusion à la période qui a suivi en 1974 la chute de la dictature des colonels NdT), un changement populaire qui modifiera de fond en comble ce système pourri. Les mesures élémentaires de démocratisation (abolition des appareils de répression de « l’ennemi intérieur », comme les MAT, lutte contre la corruption et la collusion des élites, proportionnelle simple dans toutes les élections) sont nécessaires, mais non suffisantes. Notre but est une nouvelle démocratie du peuple, où la souveraineté populaire ne se résumera pas à un évènement tous les quatre ans
Laïki Enotita appuiera toutes les formes d’autoorganisation, de solidarité et de lutte que crée l’activité autonome du peuple au cours des combats sociaux, en particulier au moment de leur apogée. Nous avons pour but que ces structures -comités populaires, conseils de citoyens etc.- expriment l’intérêt général de la Grèce du travail, et non des revendications partielles ou corporatives, qu’ils élaborent des politiques, qu’ils exercent un contrôle social sur le gouvernement, et qu’ils deviennent de nouvelles formes de pouvoir populaire.
Nous prenons l’engagement de mettre en place une Assemblée Nationale Constituante, qui élaborera la constitution de ce nouveau pouvoir populaire, où coexisteront des formes de démocratie directe et de démocratie représentative. Nous proposons la limitation du nombre de mandats pour le premier ministre, les ministres, les députés et tous les postes de pouvoir ; la possibilité de révoquer des députés et de procéder à des référendums locaux ou nationaux, sur initiatives citoyennes ; l’instauration de la démocratie également sur les lieux de travail, en mettant fin à la loi de la jungle qui règne en matière de droit du travail, et en instituant dans les entreprises des formes de contrôle ouvrier ; la rupture du cordon ombilical qui relie les grands moyens d’information privés et le pouvoir politique et l’institution de critères stricts de contrôle social sur la radio et la télévision. Nous proposons que soit enfin mise en pratique la séparation de l’Eglise et de l’Etat et que soient valorisés les biens de l’Eglise pour les besoins populaires ; que soient combattus le sexisme et toute discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle.
Pour un grand front du changement
La voie de la facilité, celle qui consiste à confier nos espoirs à un gouvernement qui résoudrait le problème social a abouti à une impasse en juillet 2015. Et c’est ainsi qu’on en est arrivé là : « la gauche pour la première fois, et le mémorandum, pour la troisième fois ».
Il n’y a pas de salut sans effort ni affrontement. Seul le combat du peuple organisé peut faire obstacle aux mesures antipopulaires, obtenir des conquêtes sociales et apporter le grand changement.
Pour Laïki Enotita, être au gouvernement n’est pas un but en soi (d’ailleurs, ses membres fondateurs l’ont prouvé lorsqu’ils ont démissionné de leurs responsabilités gouvernementales pour ne pas trahir leurs principes) ; et se cantonner dans une opposition politique à vie, non plus. Les résistances du peuple resteront émiettées si elles n’ont pas pour perspective le changement politique ; l’émergence d’un gouvernement de la gauche combattante, d’un pouvoir des travailleurs, doté d’un programme radical de démocratie, d’indépendance nationale, de transformation de la production, de redressement économique, de justice sociale et de protection écologique.
Un programme radical dont nous voulons qu’il devienne, avec les combats et la volonté populaire, le vecteur d’une transition vers le socialisme. Vers une nouvelle société, qui aura pour acteur principal le monde du travail, encouragera l’initiative populaire, la participation, la création et l’innovation, en rejetant les bureaucraties, l’aliénation des travailleurs et l’usurpation en leur nom des moyens de production et des services publics.
Nous luttons pour un front très large de toutes les forces rebelles, démocratiques, antiimpérialistes, patriotiques, antimémorandum, avant tout sur le plan social, mais aussi sur le plan politique, avec une participation de tous les secteurs, les courants, les rassemblements qui existent aujourd’hui ou se créeront demain. En particulier, nous nous adressons aux forces de la gauche anticapitaliste et communiste. Le tribunal de l’histoire ne nous pardonnerait rien si nous nous nous enfermions dans des guéguerres, dans la surenchère des grandes phrases, si nous recherchions la justification de notre action non pas dans le cadre de la grande victoire du peuple, mais dans celui des petites guerres intestines de la gauche. Une telle gauche, le peuple n’en a pas besoin. Dans les faits, elle ne rend service qu’au système.
Nous appelons la jeunesse à prendre en main la cause du changement. Parce que leur avenir ne peut être ce monde capitaliste invivable, qui détruit le travail, la civilisation et la nature. Pour un tournant vers le socialisme de l’avenir, celui du 21ème siècle, celui d’une société où ne domineront ni l’état tout puissant, ni le parti omniscient mais le bien commun et la communauté des hommes libres et créateurs.
Avec une autre gauche, pour une Grèce de l’émancipation sociale et de la souveraineté populaire.
Merci à Tlaxcala
Source: http://laiki-enotita.gr/index.php?option=com_k2&view=item&id=1187:diakiryksi-tis-laikis-enotitas&Itemid=179
Date de parution de l'article original: 01/03/2016
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