Rue89 Lyon, par Laurent Burlet, mis en ligne le 20 juin 2013.
Malgré l’interdiction d’explorer le gaz de schiste établie depuis juillet 2011, les sociétés pétrolières et gazières ne restent pas inactives. Dans les montagnes du Jura, à une centaine de kilomètres de Lyon, les élus et les habitants sont directement approchés pour trouver des terrains à forer, sous couvert d’exploration d’ « hydrocarbures conventionnels ».
Le 7 juin à Bruxelles, lors d’une rencontre des actionnaires de GDF Suez avec Gérard Mestrallet, le patron du groupe gazier s’est laissé aller à quelques confidences que nous a rapportées un des participants :
« Sur les gaz de schiste, les choses vont bouger ! On était en campagne électorale, chacun avait besoin des écolos, au moins partiellement. Ce n’est plus le même contexte. La situation budgétaire de la France ne permet pas à Hollande de passer à côté du gaz de schiste. Il s’agira d’une contribution décisive pour nos finances publiques et nos finances extérieures. »
En France, les pétroliers et les gaziers fourbissent leurs armes pour ne pas passer à côté de cette manne énergétique.
Il y a ceux qui font du lobbying et bénéficient de relais chez les parlementaires, comme on a pu le constater récemment avec le rapport d’étape de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Il y a ceux qui lancent des recours juridiques pour contester l’interdiction de la fracturation hydraulique.
Et puis, il y a ceux, beaucoup plus rares qui essayent de convaincre élus et habitants de leur louer des terrains pour procéder à un forage exploratoire.
C’est le cas de la société britannique Celtique Energie qui possède trois permis d’exploration pour tout le massif du Jura (deux en France et un en Suisse). Officiellement, elle n’a le droit de chercher que du gaz et du pétrole conventionnels (les hydrocarbures qui se pompent sans fracturation hydraulique). Officieusement, le gaz de schiste les fait davantage saliver.
Les VRP du gaz et du pétrole
Nous sommes au sud de la chaîne du Jura, dans les montagnes du Haut-Bugey (Ain). Avec comme horizon, des forêts de sapins et des pâturages pour le Comté. Et peut-être prochainement des derricks.
Dans sa petite mairie de Lantenay, Hervé Leroy, premier magistrat de ce village de 300 habitants raconte les sollicitations d’une entreprise britannique, Celtique Energie, qui, a obtenu en 2006 un permis exclusif pour explorer le gaz et le pétrole de la région.
« Ils m’envoient des mails et m’appellent plusieurs fois par mois. Ils me proposent une réunion ou me transmettent des informations sur leur société. Une fois, c’était pour me dire qu’ils avaient mis en ligne un nouveau site Internet tourné vers le grand public ».
Rien de frontal. Il y a plus d’un an, le conseil municipal a refusé de louer les terrains municipaux à Celtique Energie qui voulait faire un forage exploratoire sur la commune.
Malgré tout, le représentant de Celtique Energie continue d’appeler. Dernièrement, ce VRP du pétrole a évoqué une assurance contre une éventuelle pollution suite à un éventuel forage.
Il a proposé la même chose au maire de la commune de Corcelles, 240 habitants, de l’autre côté de la montagne également visée par Celtique Energie. Joint par téléphone, le maire Alain Balland nous raconte :
« Je leur ai demandé une assurance qui nous indemniserait perpétuellement en cas de pollution de nos sources. Pour moi, il est normal que celui qui pollue et qui nous prive des revenus de notre eau nous indemnise. Aucune commune n’avait demandé une chose pareille. J’attends toujours une copie du contrat d’assurance pour le faire analyser par des professionnels avant de recevoir une nouvelle fois Celtique Energie ».
Les maires en première ligne
Le maire de Corcelles n’est pas peu fier de son coup. Depuis l’été 2008, il a été le premier à se faire contacter par la société britannique. Depuis cette date, il dit avoir toujours « géré et analysé » les avances « dans l’intérêt de sa commune » :
« Juridiquement, je ne peux pas m’opposer à un forage d’exploration. Mais je leur ai dit que s’ils passaient à de l’exploitation, ils ne pourraient pas construire de plateforme industrielle sur le site car le terrain était en zone non-constructible dans notre plan local d’urbanisme. Et que je ne comptais surtout pas le modifier ».
Même le maire de Nantua, la sous-préfecture de l’Ain, a été contacté. Le directeur de Celtique Energie l’a rencontré le 3 juin, simplement pour « discuter », car il n’y a aucun projet de forage sur sa commune :
« Je pense qu’il voulait nous rencontrer suite à la manifestation qui a rassemblé plus de 3000 personnes. Ils essayent de nous vendre leurs forages. Mais je suis encore plus opposé qu’avant ce rendez-vous ».
Les maires de ces communes, en première ligne face à l’entreprise d’exploration pétrolière, ne compte plus sur « l’Etat » pour les défendre. Le maire de Corcelles :
« Il serait tout aussi normal que l’Etat, qui autorise le forage sur le secteur concerné, assume sa responsabilité avec Celtique. C’est trop simple pour notre préfet de signer les autorisations de travaux et d’être muté en fin d’année. Il faut penser à ceux qui restent ! »
Le village de Lantenay, dans le Haut-Bugey (Ain). Crédit : Jean-Baptiste Mouttet
Derrière le pétrole conventionnel, le pétrole de schiste
Ces petits élus de montagne restent imperméables aux propositions de Celtique Energie, malgré un changement de communication. Désormais, il n’est plus question d’explorer du gaz ou pétrole de schiste.
En 2006, quand cette entreprise a obtenu le permis dit des « Moussières » (qui couvre le sud du Jura), il était clairement noté qu’il s’agissait d’aller prospecter autant du pétrole conventionnel dans un réservoir de « Bunstandstein gréseux » (grès bigarré) que d’aller vérifier s’il y avait du pétrole ou du gaz de schiste :
« De très bonnes roches mères ont été identifiés dans les niveaux clastiques de l’Autunien, présent dans la majorité de la zone d’intérêt et qui est considéré comme la roche mère du pétrole découvert à Chaleyriat et la Chandelière ».
Suite à la loi du 13 juillet 2011, Celtique Energie a dû s’engager à ne chercher que des hydrocarbures « conventionnels » et non des gaz de schiste qui se libèrent sous le coup de la fracturation hydraulique. Le site Internet le précise très explicitement :
« Celtique Energie respecte strictement cette disposition légale et tient à souligner que son projet porte exclusivement sur l’exploration de gisements de pétrole et de gaz conventionnels. »
Contrairement à d’autres permis qui ont été annulés, l’Etat a validé cette orientation mais doit se prononcer d’ici début 2014 sur une demande de renouvellement déposée fin 2012 (les permis durent six ans). Et la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) n’a pas encore donné un avis positif.
Double discours
Il y a notamment un document particulièrement gênant pour la stratégie de Celtique Energie. Dans un rapport confidentiel rendu public par le quotidien suisse « Le Courrier » du 12 juin, Celtique estime que dans le Jura le potentiel du gaz de schiste (shale gas, en anglais) est supérieur au potentiel du gaz conventionnel :
« Les gisements de schiste du Toarcien et de l’Autunien sont bien développés dans la région jurassienne (…) au point de fournir un avantage significatif par rapport au gaz conventionnel ».
Plus précisément, il est écrit dans ce rapport qu’au sud du permis des Moussières, c’est à dire sous les communes montagneuses de Corcelles et Lantenay, se trouve surtout du pétrole de schiste.
Ce document non-daté mais qui remonte certainement à début 2010 est destiné aux investisseurs. Comme le note le Courrier, les ressources en gaz de schiste sur l’ensemble du Jura (parties françaises et suisses) seraient 22 fois supérieur à celles de gaz conventionnels. Dans le canton de Neuchâtel ces nouvelles informations pourraient compromettre les autorisations de travaux sur lesquelles des communes doivent se prononcer dans les prochaines semaines.
Du côté français, il pourrait en être de même. Car ce rapport à destination des investisseurs n’est pas de la même teneur que les documents remis aux autorités.
Pourtant, joint par Rue89Lyon, le responsable de la communication Celtique Energie en France, Saïd Aissaouri, ne « croit pas » qu’il y ait du pétrole de schiste. Il précise :
« Il n’a jamais été question d’explorer du gaz ou du pétrole de schiste, il n’en est pas question et il n’en sera pas question ».
Ce représentant de Celtique Energie semble avoir la mémoire courte.
Christine Monnet, porte-parole du collectif contre les gaz de schiste des pays de Savoie et de l’Ain. Crédit : Jean-Baptiste Mouttet.
Même sans gaz de schiste, la méthode de forage pose problème
Christine Monnet ne quitte jamais son badge sur lequel est dessiné un derrick barré. Depuis quatre ans, elle milite contre le retour des forages dans sa commune de Corcelles. En 1989, elle a assisté, en bas du village, à quelques centaines de mètres de sa maison, à un forage exploratoire mené par Esso. A l’époque on ne parlait pas encore de gaz de schiste.
Pendant plusieurs semaines, elle a vu passer les « camions de Schlumberger » remplis d’acide qui étaient ensuite « versés dans la cheminée » :
« On a eu droit également à des infiltrations d’azote et aux camions vibreurs. On nous a cassé notre vie. En partant, ils ont dit qu’ils reviendraient lorsque l’on connaîtrait une nouvelle technologie ».
L’exploration de 1989 a donné quelques dizaines de barils de pétrole conventionnel. Insuffisant pour Esso.
« Celtique Energie réussirait là où Esso a échoué. Ça ne tient pas », disent les opposants regroupés au sein du « Collectif du Haut-Bugey contre le gaz de schiste ».
« Forage à l’eau claire »
Dans un courrier au maire de Corcelles, le directeur de Celtique Energie affirme qu’ils vont utiliser une « technique nouvelle, celle du forage horizontale » pour atteindre ce pétrole conventionnel dans la couche de grès. Au maire de Nantua, ils ont parlé de forer « à l’eau claire ». Plus précisément, l’idée est de forer un « puits d’injection d’eau (…) pour repousser le pétrole en direction du puits producteur ».
L’ingénieur hydrologue à la retraite, Jacques Cambon, vice-président du collectif contre les forages, ne croit pas en la « stimulation douce » de la roche, pas plus qu’il ne croit Celtique Energie quand elle affirme qu’elle n’utilisera que des « techniques conventionnelles » (des hydrocarbures qui se pompent sans fracturation hydraulique) :
« Si Celtique Energie utilise une méthode conventionnelle, elle parviendra au même résultat qu’Esso. Il faudra donc injecter de l’eau dans la roche. Il s’agit déjà quasiment d’une méthode non-conventionnelle. Si Celtique augmente un peu la pression de l’eau, on aura une fracturation hydraulique, avec toutes les conséquences en matière de pollution que l’on connaît. Qui va aller contrôler à 3 000 mètres sous terre ? »
Un précédent gênant : un forage a pollué une source
Un petit cours d’eau sous-terrain du nom de source de la Moullaz (prononcer « moulle » pour faire local) est le principal obstacle sur le chemin des forages.
En 1989, Esso a procédé à des forages dans quatre zones, toutes situées dans le Haut-Bugey. L’un de ses forages d’hydrocarbure a eu lieu sur la commune de Lantenay. Mais ce sont deux autres petits villages en contre-bas qui ont vu leur source polluée, la Moullaz.
L’expertise du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), établissement public, a conclu que cette pollution était due aux produits utilisés pendant le forage, comme l’explique le maire de Lantenay (voir vidéo).
Finie la source historique. Pour se brancher sur une autre nappe phréatique, ces villages ont dû consentir à de gros investissements pour des travaux d’adduction, même si une partie du coût a été supportée par Esso. La fin de la source de la Moullaz a marqué les esprits des élus comme ceux des habitants du Haut-Bugey. Tout le monde s’en souvient et a peur que les mêmes causes entraînent les mêmes effets.
Le représentant de Celtique Energie se veut extrêmement rassurant et parle seulement d’un risque limité :
« Aujourd’hui, on a fortement évolué en matière de cartographie. On sait parfaitement repérer toutes les couches d’un sous-sol karstique (calcaire, ndlr). On connaît également les sens de circulation des cours d’eau sous-terrain ».
Il pêche par optimisme. Car le sous-sol karstique s’apparente à du gruyère. Impossible actuellement de connaître toutes les cavités qu’un forage est censé éviter pour ne pas rejeter des boues toxiques. Une étude du cabinet Antea, pourtant réalisée à la demande de Celtique Energie, concluait en 2011 qu’on ne connaissait pas le sens de circulation de la source du village de Corcelles. C’est dire le niveau de connaissance.
Des actionnaires dans les paradis fiscaux
Les élus se demandent qui pourrait payer en cas de pollution car, nous dit le maire de Lantenay, en forant dans un sol karstique, « on joue à la roulette russe ». Or Celtique Energie ne leur inspire pas confiance. C’est le moins qu’on puisse dire.
« Ils sont peu crédibles », nous dit le maire. Son homologue de Nantua estime qu’ils sont là pour faire un « coup » et revendre s’ils arrivent à forer :
« Celtique Energie France représente seulement trois personnes et 100 000 euros de capital. S’il y a un problème, ils peuvent disparaître dans la nature du jour au lendemain. Avec Total, ce serait une autre question ».
Le capital de la holding Celtique Energie Holdings a pour principaux actionnaires Avista Capital Partners au travers d’ACP Celtique Holdings (Etat du Delaware, Etats-Unis) et Calmar LP (Iles Caïman). Deux paradis fiscaux. Pas vraiment de quoi rassurer en effet.
Une carotte de 500 000 euros contre l’AOC du fromage
Pour faire passer le ou les forages (un forage représentant un investissement de 8 millions d’euros), Celtique Energie mise sur une production de « 100 000 tonnes de pétrole par an, l’équivalent de 10 % de la production nationale actuelle » (soit 0,1% de la consommation). Si cet objectif est atteint, « 500 000 euros » seront répartis entre les différentes collectivités. Pour des mairies qui n’ont que quelques milliers d’euros de budget annuel, cela peut faire basculer des opinions.
Pour le moment les principaux élus concernés tiennent le même discours : la défense de la qualité de vie qui passe par la défense de l’environnement. Jean-Pierre Carminati, le maire de Nantua :
« Il faut être cohérent. On a investi plus d’un million d’euros dans l’office du tourisme pour améliorer notre image et attirer les touristes et ceux qui recherchent une meilleure qualité de vie. Celtique nous parle de 13 emplois temporaires et quelques milliers d’euros si les objectifs de production sont atteints. C’est ridicule ».
Les élus défendent un tourisme rural et, surtout, l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) Comté, qui permet de maintenir une agriculture de montagne :
« Le Haut-Bugey est réputé pour son Comté. Grâce à l’AOC, le lait est acheté beaucoup plus cher aux éleveurs. Mais le cahier des charges est extrêmement strict. Ce n’est pas compatible avec des derricks qui peuvent rejeter des hydrocarbures ».
Celtique Energie prétend le contraire.
Un des panneaux contre les forages pétroliers à l’entrée de Corcelles, dans l’Ain. Crédit : Jean-Bapiste Mouttet
Des images à la télé : « ça explosait au robinet et les gens étaient malades »
En traversant ces petits village de montagne, on ne peut pas manquer les panneaux qui ont fleuri depuis quelques mois, « non au forage ». Ils sont devenus presque aussi typiques que les clochers à bulbe des églises savoyardes que l’on retrouve également dans le Haut-Bugey.
Ici, la grande majorité des habitants serait contre, nous disent les élus des deux communes visées par les forages.
Le 16 mars 2013, près de 3 000 personnes ont manifesté à Nantua alors que la bourgade principale du Haut-Bugey ne compte guère plus d’habitants. Difficile dans ces conditions de tergiverser.
Marie-Thérèse Locatelli, 70 ans, veut nous parler pour qu’il soit écrit qu’elle a n’a jamais accepté une proposition de Celtique Energie. Ancienne éleveuse, elle fait partie de la poignée de propriétaires qui ont ��té approchés entre 2009 et 2011 pour louer leur terre. Il faut préciser que Celtique Energie ne veut pas acheter, le propriétaire partageant la responsabilité d’une éventuelle pollution.
Mais quand elle a vu les « farouches » oppositions, elle a préféré décliner l’offre. Pour rester en paix. Aujourd’hui, elle se dit « neutre » sur la question, surtout après avoir regardé la télé :
« Celtique Energie nous dit qu’ils ne recherchent pas de gaz de schiste. Les autres nous disent que oui. On a vu des images à la télé : ça explosait au robinet et les gens étaient malades. Si c’est bien ce gaz qu’on recherche, ça fait peur ».
Michel Savarin, la quarantaine, a également été approché. Celtique Energie voulait lui louer une bande de terre de 1500 m2 pour accéder au terrain des Locatelli. Le prix ? Celtique a seulement fait une proposition à 837 euros par hectare et par an.
Au début, il était plutôt pour. Mais le maire l’a appelé en lui expliquant que ça allait générer de la pollution. Il s’est alors renseigné :
« Plus on réfléchit et plus on est contre. Mon père reste favorable. Il pense que la technique est forcément bonne. C’est peut-être une question de génération ».
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