Fukushima : des défis insurmontables

Source : Le journal de l'énergie, par David Boilley, mis en ligne le 11 mars 2015

TRIBUNE. Cela fait quatre ans que la catastrophe nucléaire japonaise a commencé. Après l’urgence et les mesures d’ajustement et de restructuration, aussi bien la compagnie Tepco, qui exploitait la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, que les autorités se sont installées dans un chantier à long terme. Les défis sont immenses, tant au niveau de la centrale qui reste menaçante que dans les territoires contaminés où la population s’interroge sur son avenir, mais le Japon y fait face avec les anciens réflexes de dissimulation et d’autoritarisme qui ne font qu’aggraver la situation.

L’été 2013 avait été marqué par une suite de scandales sur les fuites d’eau contaminée qui ont secoué le Japon, avec un fort retentissement médiatique international. Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a pris le dossier en main et a déclaré devant le Comité olympique, où il défendait la candidature de Tokyo, que la situation était « sous contrôle » et que la pollution radioactive était bloquée dans le port devant la centrale. Plus tard, devant le Parlement, il précisera que « les effets de la radioactivité » sont bloqués dans le port, sans préciser ce qu’il entendait par « effets ». Plus de 18 mois plus tard, force est de constater que la situation n’est pas sous contrôle et que l’eau contaminée reste le principal cauchemar de Tepco.

La bataille de l’eau contaminée

Avant la catastrophe nucléaire, Tepco pompait, chaque jour, environ 1 000 m3 d’eau souterraine pour rabattre la nappe phréatique et éviter les infiltrations dans les sous-sols des réacteurs nucléaires. Ce pompage s’est arrêté avec la catastrophe et environ 400 m3 d’eau souterraine y pénètrent chaque jour et se mélangent à l’eau de refroidissement fortement contaminée. Cette eau est stockée et Tepco doit ajouter une cuve tous les deux jours. Il y a plus d’un millier de cuves sur le site de la centrale.

Inversement, de l’eau contaminée passe des sous-sols vers la nappe phréatique avant de rejoindre l’océan. Les fuites en mer, estimées à la louche à 300 m3 par jour, continuent. Tepco s’est engagée dans une bataille pour « contrôler » la situation où elle enregistre peu de victoires

Première idée, reprendre les pompages, mais l’eau près des réacteurs est fortement contaminée. Alors la compagnie a décidé de pomper plus en amont où la contamination est moindre. Mais, il lui a fallu un an pour convaincre les pêcheurs qui ont fini par accepter, en mars 2014, que cette eau soit rejetée dans l’océan. Il aura fallu du temps à la compagnie pour accepter un contrôle de l’eau par un laboratoire tiers.

En régime de croisière, ce sont entre 300 et 350 m3 qui sont ainsi rejetés quotidiennement en mer. La contamination en tritium (hydrogène radioactif) ne doit pas dépasser 1 500 becquerels par litre (Bq/L) et celle en bêta total (hors tritium) 5 Bq/L. Tepco avait annoncé une diminution attendue des infiltrations de 100 m3 par jour mais les effets ont mis du temps à se manifester. Ce n’est qu’à l’automne 2014 que la compagnie a pu observer une baisse de 50 à 80 m3 par jour en données corrigées des variations saisonnières. L’eau contaminée continue donc à s’accumuler jour après jour.

En parallèle, sur injonction des autorités, la compagnie a commencé à installer un système destiné à geler le sol tout autour des réacteurs accidentés pour limiter les échanges. C’est le gouvernement qui paye. En amont, les travaux progressent vite, mais, en aval, il y a de nombreuses galeries souterraines qui vont vers la mer. Tepco a essayé, pendant des mois, d’en geler une à titre expérimental, mais cela n’a pas pris. Elle a eu beau rajouter de la glace, puis de la glace carbonique, rien n’y a fait, l’eau circulait toujours. Elle a ensuite tenté de cimenter la partie qui ne gelait pas, sans plus de succès. Elle a enfin décidé de remplir les galeries de ciment, mais il y a de nombreux câbles et tuyaux et il est peu probable que ce soit complètement étanche.

Le stockage de l’eau contaminée n’est pas durable. Une première station de traitement, « Sarry », retire le césium, mais cela ne suffit pas. Une nouvelle station, « ALPS », doit retirer 62 radioéléments, mais elle cumule les déboires. Les performances n’étaient toujours pas au niveau attendu et elle génère d’énormes quantités de déchets. Tepco s’était engagée, en septembre 2013, après les scandales de l’été et les déclarations du Premier ministre, à traiter tout son stock avant mars 2015. Il est rapidement apparu que ce ne serait pas possible. Elle a donc ajouté de nouvelles unités qui ne retirent que le strontium, très radiotoxique, en plus du césium. Mais, finalement, même en prenant en compte cette décontamination partielle, elle ne pourra pas tenir ses engagements. Tepco affirme maintenant pouvoir y arriver en mai 2015 pour le strontium et en mai 2016 pour les autres radioéléments.

Même partiellement décontaminée, cette eau s’accumule dans des cuves. En cas de fuite importante, l’impact serait moindre, mais cela ne résout pas le problème du stockage à long terme. En effet, le stock total de tritium contenu dans les cuves, les combustibles, les sous-sols, et qui n’est pas retiré par les différentes stations de traitement, correspond à environ 150 ans de rejets en mer à la limite maximale autorisée. Pour déverser cette eau dans l’océan – le rêve de Tepco et des autorités – il faudrait changer les autorisations de rejet, ce qui semble politiquement impossible.

La dernière carte de Tepco consiste finalement à pomper l’eau souterraine au pied des réacteurs. Mais elle est très contaminée. La compagnie veut donc la traiter et la rejeter directement en mer. Elle tente d’obtenir l’accord des pêcheurs, en vain pour le moment.

A l’automne dernier, une majorité des 6 000 personnes qui travaillaient chaque jour sur le site de la centrale accidentée était engagée dans la bataille de l’eau contaminée. Ce chiffre est passé à 7 000 par jour et cela ne suffit toujours pas car la culture de la compagnie n’a guère changé. La pénurie de main d’œuvre qualifiée et la sous-traitance en cascade aggravent la situation. Depuis le début de la catastrophe, 40 000 personnes ont travaillé sur le site de la centrale accidentée.

Tepco avait découvert, en janvier 2014, que la contamination de l’eau de pluie évacuée vers la mer était particulièrement élevée dans un drain. Elle a prévenu l’autorité de régulation nucléaire japonaise, la NRA (Nuclear Regulatory Authority), qui lui a demandé de trouver la cause. La compagnie a d’abord suspecté la contamination des sols : elle les a donc couverts, a nettoyé les drains, et multiplié les contrôles, mais la contamination de l’eau n’a pas baissé. Tepco n’a rien dit à personne. Elle n’a pas signalé non plus que la contamination augmentait avec la pluie. Ce n’est qu’en février 2015, suite à une autre fuite qui a déclenché une alarme, qu’elle a averti la NRA.

Suite aux fuites qui ont fait scandale par le passé, Tepco contrôle l’eau de pluie récoltée autour des cuves et a mis des alarmes sur les drains qui s’écoulent vers le port, mais n’a pris aucune mesure particulière pour le drain où l’eau était particulièrement contaminée, qui lui, se jette directement dans l’océan, sans passer par le port où la compagnie a installé des barrières pour limiter les transferts.

Comment Tepco peut prétendre être très précautionneuse en surveillant l’eau pompée avant rejet dans l’océan et d’un autre côté être si négligente pour cette eau de pluie ? La compagnie a encore des progrès à faire en termes de culture de sûreté. Les pêcheurs sont furieux et se sentent trahis. Comme d’habitude, la compagnie s’est excusée pour l’inquiétude créée, alors que ce n’est pas le seul scandale dû à la négligence.

 

La menace des piscines de combustible

Les piscines de combustible usé ont inquiété au début de la catastrophe nucléaire car elles ne sont pas protégées par l’enceinte de confinement des réacteurs. Si une secousse sismique ou une explosion provoquait une fissure et qu’il n’était plus possible de refroidir le combustible, il aurait fondu et dégagé une énorme quantité de radioéléments. La première semaine, le Premier ministre japonais avait sur son bureau le scénario du pire qui consistait en la fusion des combustibles de la piscine n°4, la plus chargée. Une estimation rapide avait montré qu’il aurait alors fallu évacuer jusqu’à environ 250 km de la centrale et donc probablement une partie de l’agglomération de Tokyo. Le renforcement de la structure de soutènement de la piscine n°4 avait été une priorité dans les premiers mois.

Tepco a fini de vider cette piscine le 20 décembre dernier. C’est une belle prouesse. Les combustibles usés sont dans la piscine commune de la centrale de Fukushima-Daiichi, qui est au niveau du sol. Les combustibles neufs sont dans la piscine du réacteur n°6.

Pour cela, la compagnie a dû démanteler toute la partie haute du bâtiment réacteur et reconstruire une structure neuve par-dessus le tout. Le réacteur n°4, dont le cœur était entièrement déchargé en mars 2011, ne constitue donc plus une menace et son démantèlement se fera plus tard. Réduire la menace des autres réacteurs est la priorité.

La compagnie va s’attaquer aux trois autres réacteurs accidentés, en commençant pas le réacteur n°3 qui est très endommagé et dont la piscine contient du combustible MOX, très chargé en plutonium. Contrairement au réacteur n°4, il y a eu fusion des cœurs dans les réacteurs 1, 2 et 3 et le débit de dose ambiant dû à la radioactivité ne permet pas aux êtres humains d’y travailler.

Tepco a commencé à démanteler le réacteur n°3 à l’aide de grues télécommandées. Cela n’a pas été sans incidents, mais elle a fini pour la partie haute. Le débit de dose y est si élevé qu’il faut trouver un moyen de l’atténuer suffisamment avant de construire une nouvelle structure tout autour. Ce n’est pas gagné pour le moment.

Contrairement au réacteur n°4, le démantèlement du n°3 a conduit à des rejets conséquents de poussières radioactives qui ont été détectées à grande distance. En août 2013, ces dégagements ont même conduit au déclenchement d’alarmes de surveillance et à la contamination de travailleurs qui attendaient le bus. Il faudra à Tepco du temps pour soupçonner les poussières comme étant la cause des problèmes. L’incident semblait clos. Mais, en juillet 2014, le ministère de l’Agriculture révèle que du riz récolté à Minami-Soma à l’automne 2013 était contaminé au-delà de la limite de mise sur le marché, alors que ce n’était pas le cas l’année précédente. Le ministère soupçonne les retombées de poussières émises lors du démantèlement du réacteur n°3 durant l’été 2013. Les rizières affectées sont au-delà de la zone d’évacuation de 20 km.

 

Des rejets dissimulés

Le maire et les habitants de Minami-Soma sont furieux, car ni Tepco, ni le gouvernement, ne leur ont signalé les retombées radioactives sur la commune. On apprendra plus tard que ce sont des chercheurs de l’université de Kyoto qui ont alerté les autorités : ils contrôlaient la contamination des aérosols à Fukushima et ont détecté plusieurs pics de pollution radioactive. Le ministère a fait le lien avec le riz contaminé et a abordé ce problème avec Tepco en mars 2014 sans prévenir la commune.

Tepco a fini par reconnaître que le 19 août 2013, les travaux de démantèlement sur le réacteur n°3 ont entraîné un rejet radioactif aérien de 4 térabecquerels (4 000 milliards de becquerels), ce qui est 10 000 fois plus que les rejets habituels. Rien sur les autres pics. Ce chiffre sera revu à la baisse des mois plus tard. Et il faudra attendre le 31 décembre 2014 pour découvrir le pot aux roses : contrairement au réacteur n°4, Tepco a négligé d’asperger une résine pour fixer les poussières avant de démanteler. Et quand cette résine, généralement utilisée pour fixer les poussières d’amiante, était aspergée, la dilution du produit était trop forte. Pour le fabricant, c’est comme avoir aspergé de l’eau. Suite aux problèmes, Tepco a repris les procédures normales à partir d’octobre 2013, sans rien dire à personne. Pas vu pas pris. Les mauvaises pratiques auront duré presque un an ! La compagnie n’a pas été punie, mais s’est excusée pour l’inquiétude provoquée.

Cette affaire a entraîné un « glissement du calendrier » des travaux sur le réacteur n°1. Il est donc difficile de savoir quand les autres piscines seront vidées. Au-delà des piscines, il y a le combustible fondu qui a percé la cuve des réacteurs et qu’il faut continuellement refroidir en l’arrosant. Tepco ne sait pas où il est exactement. La réduction de la menace que représentent les réacteurs accidentés va prendre des décennies. Après, la compagnie pourra envisager le démantèlement. Se pose aussi le problème des déchets radioactifs pour lesquels le Japon n’a aucune solution à proposer.

En attendant, l’environnement plus ou moins proche de la centrale nucléaire peut à nouveau être fortement contaminé suite à un accident. Que se passera-t-il en cas de forte secousse ou de nouveau tsunami ? Même sans accident, il est fort probable qu’il y ait encore des rejets intempestifs qui viennent s’ajouter aux rejets de routine. Chikurin, le laboratoire citoyen monté à Tokyo avec le soutien de l’ACRO, a mis au point une méthode de prélèvement des poussières facile à mettre en œuvre à l’aide d’un simple linge suspendu. Elle a été comparée à des méthodes plus lourdes, avec préleveur automatique et filtre, et donne des résultats comparables.

Ces rejets inquiètent les habitants qui ne sont pas prêts à rentrer, même si, officiellement, ce ne sont plus ces retombées radioactives qui auraient contaminé le riz de Minami-Soma. Mais les autorités n’ont aucune autre explication.

 

Le retour des populations

Il y a encore officiellement presque 120 000 personnes évacuées à cause de la pollution radioactive. L’indemnisation coûte cher aux autorités qui avancent l’argent à Tepco. Elles rêvent donc d’une catastrophe réversible avec un retour des populations. L’ordre d’évacuer a été levé dans deux districts et l’indemnisation se tarira un an plus tard.

Le gouvernement a divisé la zone évacuée en trois sous-zones en fonction du débit de dose. Il prévoit un retour rapide dans celle où l’exposition est inférieure à 20 millisieverts par an (mSv/an). Cela correspond à la limite fixée pour l’évacuation en 2011. A l’époque, le Japon s’était vanté d’avoir choisi la valeur la plus basse des recommandations internationales. Mais la phase d’urgence est terminée depuis longtemps. Il est alors recommandé de fixer des niveaux de référence dans la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an.

Le Japon est en train de comprendre que la transition entre la situation d’urgence et la gestion à long terme des territoires contaminés est complexe. Comment passer d’un intervalle d’exposition maximale autorisée situé entre 20 et 100 mSv à la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv ? Les radioéléments comme le césium décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40 % en moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se sont révélés très décevants.

Le Japon a bien adopté un retour à une limite de 1 mSv/an, mais sans donner de calendrier. La politique actuelle de retour des populations dans les zones évacuées est toujours basée sur une limite annuelle de 20 mSv/an choisie au moment de l’évacuation. Cette limite n’avait pas été acceptée par beaucoup au moment de l’urgence et elle n’est toujours pas acceptée pour le retour. Ainsi, de nombreuses personnes ne souhaitent pas rentrer, surtout quand il y a des enfants en bas âge. Mais si le Japon adoptait une limite de retour plus basse, les populations non évacuées ne comprendraient pas et se sentiraient abandonnées.

Ces doses annuelles sont estimées en supposant que les personnes passent en moyenne 8 heures par jour dehors et 16 heures par jour à l’intérieur où l’exposition serait réduite de 60 %. Ainsi, 1 millisievert par an correspond à 0,23 microsievert par heure (μSv /h) quand on ajoute le bruit de fond naturel de 0,04 microsievert par heure. Cela peut être mesuré directement avec un radiamètre. Vingt millisieverts se traduisent par une limite de 3,8 microsieverts par heure par la même méthode. C’est cette valeur qui a été utilisée pour l’évacuation. Et c’est encore elle qui est retenue pour le retour.

Face à cette situation complexe, les autorités pensent avoir trouvé la parade : distribuer à chacun des « glass-badges », c’est à dire des dosimètres individuels (des appareils qui enregistrent la dose reçue), pour apprendre à vivre en territoire contaminé et limiter l’exposition en faisant attention. Il est alors possible d’avoir une dose reçue moins élevée que celle estimée précédemment. La ville de Daté s’est fixé une limite à 5 mSv/an mesurés par ces « glass-badges » et le maire met en avant le succès de l’opération.

Tous les élus ne sont pas convaincus et le conseil municipal a organisé, en janvier 2015, un séminaire avec un représentant de l’association Fukuro-no-kai et le fabriquant du dosimètre, Chiyoda Technology. Lors de la réunion, le représentant associatif a souligné les limites de la méthode : il importe de protéger chacun. On ne peut pas se contenter de moyenne, comme le font les autorités. Par ailleurs, ces dosimètres sous-estiment la dose quand on vit dans un environnement entièrement contaminé. Lors de la réunion, le directeur de Chiyoda Technology a reconnu les faits et s’est excusé de ne pas l’avoir signalé. Suite à la parution d’un compte-rendu dans la presse, le site Internet de la compagnie reconnaît que les dosimètres sous-estiment la dose reçue de 30 à 40 %. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui a sélectionné ces dosimètres en France et accompagne le maire de Daté dans le cadre d’« Ethos in Fukushima », n’aurait pas jugé utile d’apporter cette information ?

Pas étonnant que les habitants hésitent à rentrer. Est-ce cela l’avenir que l’on veut proposer à ces enfants ? Tout contrôler, ne pas s’aventurer au-delà des zones non décontaminées… Selon l’Agence japonaise de la reconstruction, qui a sondé les habitants des territoires évacués de la province de Fukushima entre août et octobre 2014, seulement 19,4 % des habitants de Namie originaires d’une zone où l’ordre d’évacuer va être levé, car l’exposition externe y est inférieure à 20 mSv par an, veulent rentrer. C’est 14,7 % dans la même zone à Tomioka. Il s’agit souvent des personnes les plus âgées.

Pour les zones de « non-résidence », où l’exposition externe à la radioactivité avant les travaux de décontamination est comprise entre 20 et 50 mSv par an, ces pourcentages descendent à 16,6 % pour Namie et 11,1 % pour Tomioka. Enfin, pour les zones classées en « retour difficile » car l’exposition externe avant décontamination y est supérieure à 50 mSv par an, 17,5 % des personnes concernées à Namie espèrent pouvoir rentrer un jour. C’est 11,8 % pour Tomioka.

Il faut donc s’adapter. Avant la catastrophe, il y avait 5 lycées dans les 8 communes évacuées du district de Futaba avec 1 500 élèves. Les cours continuent dans les « villes refuges », mais il n’y avait plus que 337 élèves inscrits en mai 2014, juste après la rentrée scolaire. Un nouveau lycée va ouvrir à Hirono à la rentrée prochaine, en avril 2015, à la place des cinq lycées abandonnés qui fermeront officiellement en avril 2017. Il y aura un pensionnat car les enfants vivront loin du futur lycée.

Deux cliniques qui étaient en zone évacuée, dans le district d’Odaka à Minami-Soma et à Namie, vont licencier le personnel car les indemnisations de Tepco s’arrêtent. Seuls les directeurs restent en poste pour trouver une façon de rouvrir. Quarante-cinq personnes dans chaque clinique vont perdre leur emploi. Deux autres cliniques ont déjà fermé définitivement après la catastrophe nucléaire. Minami-Soma espère lever l’ordre d’évacuer en avril 2016 et Namie en 2017. S’il n’y a plus de services de soins, le retour sera plus difficile.

Les autorités se doivent de laisser le choix aux populations quant à leur retour, sans discrimination, et les aider à refaire leur vie, quel que soit le lieu de résidence choisi. Au-delà du rétablissement de conditions de vie digne, se pose, à plus long terme, le problème du devenir des territoires et des immenses volumes de déchets radioactifs.

 

Les déchets radioactifs

Que ce soit en territoires évacués ou en zone contaminée, les déchets radioactifs issus des travaux de décontamination s’accumulent. A Fukushima, il devrait y en avoir 30 millions de mètres cubes (m3). Les autorités veulent les entreposer sur un site de 16 km2 qui entoure la centrale de Fukushima Daiichi dans les communes d’Okuma et Futaba. Pour vaincre la réticence des habitants, les autorités se sont engagées, par la loi, à reprendre ces déchets au bout de trente ans pour les stocker définitivement en dehors de la province de Fukushima. Qui peut croire qu’il sera possible de trouver un site et de transporter à nouveau 30 millions de mètres cubes ? Le nombre de voyages en camion pour apporter ces déchets se compte aussi en millions. Si les autorités locales ont donné leur accord, les propriétaires des terrains refusent de vendre ou même de louer. Le processus est bloqué. Un sondage effectué en avril 2014 a montré que 82,7 % des habitants de Fukushima ne croient pas à cette fable des trente ans. Le gouvernement n’a donné aucune piste sur la façon dont il compte s’y prendre.

Dans les autres provinces aussi la situation est bloquée. Le gouvernement a trouvé des sites de stockage définitif cette fois-ci mais les riverains et les maires des communes proches s’y opposent. Ils ont barré l’accès aux ingénieurs venus étudier les terrains.

Même en temps normal, il est difficile de trouver un site d’accueil pour les déchets radioactifs. Après un accident nucléaire de grande ampleur, c’est encore plus difficile car les populations ont moins confiance dans les autorités et le volume de déchets est beaucoup plus grand. Le gouvernement maintient sa politique traditionnelle qui consiste à « décider, annoncer et défendre ». Le précédent ministre de l’Environnement avait expliqué que l’argent viendrait à bout des réticences. Les faits lui donnent tort. L’accord des élus locaux ne suffit pas.

En attendant, les déchets s’accumulent partout. Il y a plus de 54 000 sites d’entreposage temporaire. A Iitate, par exemple, ils couvrent un tiers des 800 hectares de surfaces agricoles. Souvent, le bail pour l’utilisation du terrain arrive à échéance sans qu’il y ait de solution en vue. Dans les zones non évacuées, les maires et les populations ne veulent pas garder les déchets et souhaitent leur départ au plus vite. Des enfants ont été vus jouant sur ces montagnes de sacs radioactifs. Parfois, l’emballage ne tient pas.

 

La catastrophe au quotidien

Au-delà de ces défis insurmontables, tout le parc nucléaire japonais est à l’arrêt complet depuis septembre 2013. Seuls quatre réacteurs ont vu leur dossier de sûreté validé et il n’y aura probablement pas de redémarrage avant l’été 2015. D’un autre côté, cinq réacteurs âgés devraient être officiellement arrêtés définitivement. Ce n’est qu’un début. Dans ce contexte, le gouvernement peine à définir sa politique énergétique, même s’il s’est engagé à rendre sa copie avant la Conférence sur le climat de Paris.

Mais ce sont surtout les populations qui souffrent. Il y a encore 120 000 évacués de la catastrophe nucléaire qui ne savent de quoi leur avenir sera fait. Beaucoup vivent encore dans des préfabriqués peu confortables. Les familles sont parfois éclatées. Que faire quand les indemnisations s’arrêteront ? Dans les territoires contaminés, les enfants ne jouent plus dehors.

Et il y a les cancers de la thyroïde qui sont source d’inquiétude. L’université médicale de Fukushima, mandatée par les autorités, a ausculté une première fois la thyroïde de 368 000 enfants. Parmi eux, 86 enfants avaient un cancer confirmé et 23 autres suspecté. Des examens complémentaires sont en cours. Il y a un cas qui s’est révélé être bénin après l’intervention chirurgicale. Le taux d’occurrence observé est beaucoup plus élevé à Fukushima qu’ailleurs au Japon ou dans d’autres pays. En effet, cela fait environ 30 cas sur 100 000 enfants, contre 1,7 cas sur 100 000 enfants à Miyagi.

Les autorités médicales affirment cependant que ce n’est pas lié à la catastrophe nucléaire, mais au dépistage systématique. Si c’est le cas et que les cancers ne se seraient pas déclarés avant des années, fallait-il effectuer les interventions chirurgicales ? Les cancers papillaires de la thyroïde ne se développent pas toujours et les enfants auraient peut-être pu vivre longtemps en bonne santé avec leur glande. Une fois opérés, ils ont une cicatrice au cou et certains doivent prendre des médicaments toute leur vie. Des experts critiques réclament donc que les autorités régionales, qui mènent ce programme, rendent publiques les informations relatives à la glande après chirurgie et au niveau de progression du cancer. L’université de Fukushima refuse pour préserver la confidentialité des données des patients et les autorités régionales n’ont pas le pouvoir d’accéder au dossier médical.

Les autorités régionales de Fukushima ont entamé la deuxième vague de dépistage du cancer de la thyroïde chez les 385 000 enfants de la province. Huit enfants sur 75 000 chez qui l’on n’avait pas détecté de cancer lors de la première échographie sont suspectés d’avoir un cancer après un deuxième examen. Parmi eux, il y a un cas confirmé. Les sept autres vont subir d’autres examens médicaux. Ils avaient entre 6 et 17 ans au moment des rejets radioactifs massifs. Les tumeurs font entre 6 et 17,3 mm. Ces enfants étaient classés dans la « catégorie A » lors du premier dépistage, signifiant « pas de problème ».

Par ailleurs, sur les 75 000 enfants ayant subi une deuxième échographie de la thyroïde, 611 sont classés « B » et vont subir des examens complémentaires. Parmi eux, 441, ou 72,2 %, avaient été classés « A » lors de la première campagne. Le nombre de cas de cancer pourrait malheureusement augmenter encore… L’inquiétude des populations est donc sans fin.

 

La catastrophe ne fait que commencer

Force est de constater que la catastrophe ne fait que commencer. Les défis auxquels fait face le pays sont immenses. Même en temps normal, il n’est pas simple de démanteler une installation nucléaire ni de trouver une solution pour les déchets. Les fuites d’eau contaminée sont difficiles à colmater dans un environnement si hostile. Les problèmes sont exacerbés après la catastrophe et des populations souffrent. Mais ni Tepco ni le gouvernement n’ont changé. Les excuses répétées n’y changent rien. Selon un sondage récent, 71 % des habitants de Fukushima ne sont pas satisfaits par la gestion de la crise par le gouvernement et Tepco.

La compagnie fait preuve de négligences si elle n’est pas contrôlée strictement. Les quelques exemples présentés ici affectaient l’extérieur du site de la centrale accidentée et sont donc connus. Il y a beaucoup d’autres problèmes qui restent internes. Des ouvriers ont, par exemple, actionné le mauvais interrupteur et mis en marche une pompe de secours qui a déversé de l’eau contaminée dans un sous-sol. Il leur a fallu plus d’un mois pour se rendre compte de la bourde. Deux ouvriers sont décédés en janvier et la compagnie a dû revoir toute la sécurité des travailleurs. Dans de telles conditions, comment peut-elle prétendre pouvoir reprendre l’exploitation de sa centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa ?

Quant au gouvernement, il est toujours dans sa stratégie « décider, annoncer, défendre » qui laisse peu de place à la concertation alors qu’il lui faudrait être plus à l’écoute des populations et inventer de nouvelles formes de démocratie plus participatives. Car les initiatives citoyennes sont nombreuses et ne demandent qu’à être reconnues et encouragées. Dans les années à venir, de nouvelles difficultés vont surgir avec la fin de l’indemnisation des victimes sans que les problèmes ne soient réglés.


 
Cet article a été publié initialement sur le site « L’ACROnique de Fukushima » le 5 mars 2015 par l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité de l’Ouest (ACRO) :

Photo : réacteur n°3 de la centrale de Fukushima-Daiichi le 15 mars 2011 (Tepco).

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