Source : Basta mag, par Ivan du Roy, mis en ligne le ,25 mars 2014
C’est une alliance inédite à gauche : écologistes et Parti de gauche sont en passe de ravir la ville de Grenoble au Parti socialiste. Dans plusieurs autres municipalités, des listes communes au Front de gauche et à Europe écologie - Les Verts réalisent des performances très correctes, malgré l’envolée de l’abstention. Une stratégie que souhaitent renforcer les deux formations lors des élections régionales de 2015. De quoi offrir une alternative crédible à la politique menée par le PS et peut-être remobiliser un électorat de gauche désenchanté. A moins que les logiques d’appareils ne l’emportent.
Des scores à deux chiffres, dans quasiment toutes les villes où elles se sont présentées. De Rennes à Nîmes, en passant par Grenoble, « elles », ce sont les 89 listes d’une alliance inédite entre Europe écologie - Les Verts (EELV) avec une ou plusieurs composantes du Front de gauche. Une alliance qui, au-delà des réalités locales, pourrait, au vu de ses scores, relancer une nouvelle dynamique à gauche. Et réconcilier préoccupations écologiques, alternatives économiques et émancipation sociale, à l’heure où le gouvernement socialiste semble leur avoir tourné le dos.
La surprise est venue de Grenoble (157 000 habitants), où le « rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes », composé d’EELV et du Parti de gauche (PG) arrive en tête, avec 29,4 % des suffrages. Ancien cadre d’Hewlett-Packard licencié pour s’être opposé à une délocalisation, l’écologiste Eric Piolle devance de 2000 voix Jérôme Safar, dauphin techno du maire sortant Michel Destot (PS), pourtant allié au Parti communiste. Le rassemblement citoyen ravira-t-il l’Hôtel de ville, gouverné depuis 19 ans par le PS ? A l’heure où nous écrivons, la fusion des listes de gauche seraient en cours, derrière Eric Piolle.
A Rennes (210 000 hab.), l’alliance entre le parti de Cécile Duflot et celui de Jean-Luc Mélenchon, avec d’autres petites formations du Front de gauche, se place en 3ème position (15 %), derrière la liste PS-PCF et l’UMP. Idem à Poitiers (90 000 hab.), où une liste « écologique, sociale, solidaire et citoyenne », également soutenue par le Nouveau parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot, devance, avec plus de 15 % des suffrages, le FN et les centristes de l’UDI. 23 % à Conflans-Sainte-Honorine (35 000 hab., Yvelines), 21 % à Lannion (20 000 hab., Côtes d’Armor), 18 % à Palaiseau (30 000 hab., Essonne), près de 16 % à Villeurbanne (145 000 hab., Rhône) et 14 % aux Mureaux (31 000 hab., Yvelines), 13 % aux Lilas (22 000 hab., Seine-Saint-Denis)… Ces listes « autonomes » viennent troubler l’hégémonie du PS à plusieurs endroits.
Comment ces alliances ont-elles émergé ? Sur des préoccupations locales d’abord. Régie municipale de l’eau, priorité à la vie associative et culturelle, produits bio dans les cantines ou relocalisation de l’économie constituent autant de « convergences » sur lesquelles militants écologistes et du Parti de gauche se sont retrouvés. « Ce sont essentiellement des situations où le candidat du PS est très éloigné de ce que nous portons », explique Elise Lowy, membre de la direction d’EELV. L’enjeu était aussi national : « Face à l’impasse dans laquelle nous conduit la politique gouvernementale, ceux qui veulent construire une alternative écologique et sociale se sont alliés. » Le refus des politique d’austérité était, du côté du PG, une condition sine qua non pour s’allier avec un parti qui participe au gouvernement.
Une stratégie d’union qui semble payer. « Tout seul, EELV fait moins de 10 %. Et plus de 15 % quand ils sont avec nous », fait valoir Martine Billard, co-présidente du PG. Grenoble incarne le nouvel exemple à suivre : c’est « la preuve que notre nouvelle alliance est une promesse d’avenir », dont le succès « démontre qu’une majorité alternative est possible à court terme », se réjouit Eric Coquerel, secrétaire national du PG. Reste à transformer des dynamiques locales en stratégie nationale.
A Nîmes (140 000 hab.), écologistes et Front de Gauche ont attiré 12 % des votants. Du point de vue d’EELV, c’est mieux : les écologistes multiplient par trois le nombre de suffrages exprimés comparé au 1er tour de 2008. Vu du Front de gauche, ce n’est pas terrible : Alain Clary, le candidat historique du PCF, l’ancien maire de la cité gardoise, avait obtenu près du double, six ans plus tôt, sans le PS. La nouvelle alliance n’a pas réussi à enrayer localement la vague « bleu marine » qui submerge la côte méditerranéenne : le FN nîmois (22 %) a séduit presque deux fois plus d’électeurs.
A Lorient (57 000 hab., Morbihan) également, écologistes et Front de gauche, avec 11,5 % des voix, n’ont pas réussi à surpasser le FN (15 %) pourtant traditionnellement faible en Bretagne, ni à séduire les abstentionnistes. Et à Gonesse (26 000 hab., Val d’Oise), cela a été la claque : un petit 6 % pour la liste écologiste et citoyenne, face aux 21 % du FN. « Ces alliances n’ont pas bénéficié d’une construction dans la durée, comme à Grenoble », relativise Martine Billard. Et le partenaire du Front de gauche s’est parfois divisé : à Nîmes ou Bergerac, les députés écologistes locaux ont appelé à voter pour les listes socialistes dès le premier tour. De quoi embrouiller encore davantage un électorat désenchanté.
« Il va falloir arrêter de louvoyer et ne plus accompagner la politique libérale productiviste du gouvernement », prévient Elise Lowy, pour qui la bonne tenue des listes EELV renforce la stratégie d’autonomie face au PS. Tout en envoyant un message à la jeune formation de Jean-Luc Mélenchon, dont le partenaire privilégié demeure, pour l’instant, le Parti communiste : « Sur des sujets fondateurs de ce qui incarne un autre modèle, comme la transition énergétique et la sortie du nucléaire, le PCF reste un obstacle, même s’il évolue et que l’on se retrouve sur des politiques ambitieuses pour l’éducation ou la santé », estime Elise Lowy.
Ce qui n’a pas empêché communistes, écologistes et Parti de gauche de réussir, ensemble, à préserver plusieurs municipalités. A Dieppe (32 000 habitants, Seine-Maritime), après avoir menacé de présenter une liste autonome davantage ancrée dans l’écologie, EELV et le PG se sont finalement ralliés au maire communiste sortant Sébastien Jumel. Résultat : 45 %, malgré la présence d’une liste rassemblant socialistes et centristes. Scénario similaire à Chevilly-Larue (18 500 habitants, Val-de-Marne), où cette autre gauche résiste tranquillement aux assauts du PS (47,5 % contre 25 %).
Cette dynamique se poursuivra-t-elle après les municipales ? Pour les élections européennes, les divergences sur l’Europe sont encore trop fortes. « Mais nous regardons ensemble les élections régionales », glisse Martine Billard. Elles auront lieu en 2015. « Pour les régionales, c’est envisageable », confirme Elise Lowy. Elle propose d’ici là de mettre en place un « comité de liaison » national, pour que les écologistes et l’autre gauche, y compris au sein du PS, puissent porter une parole commune. Les appareils politiques respectifs laisseront-ils faire ?
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