Déclin programmé de l’industrie nucléaire

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vendredi 23 mars 2012, par Mycle Schneider


Après l’arrêt programmé pour lundi 26 mars de Kashiwasaki-6, le dernier réacteur nucléaire en activité sur l’île de Honshu, le Japon ne disposera plus que d’une seule tranche en fonctionnement (sur 54) ; celle de Tomari, sur l’île d’Hokkaido, au nord du pays. Et encore celle-ci devrait-elle s’arrêter également, début mai au plus tard. Horrifiée de l’incurie et des mensonges révélés par la gestion de la catastrophe, la population ne semble pas disposée à laisser redémarrer les centrales arrêtées. Ainsi, plus d’un an après le séisme dévastateur du 11 mars 2011, le Japon semble tourner la page du nucléaire. Une source d’énergie qui, au plan mondial, a cessé de se développer il y a désormais plus de vingt ans.


La mauvaise santé des champions du nucléaire est symptomatique de la dérive progressive de cette industrie — partout sauf en Chine, en Russie, en Inde et en Corée du Sud. Et le choix de certains pays émergents en faveur des énergies renouvelables pourrait encore en accélérer l’irrésistible baisse.

Au 1er janvier 2012, il y avait 429 réacteurs nucléaires en service dans le monde, quinze de moins que lors du pic historique de 2002. Ce chiffre tient compte de l’arrêt forcé des dix réacteurs de Fukushima, mais pas des autres réacteurs japonais arrêtés. Tout en affirmant vouloir aller vers « une société qui ne dépende pas du nucléaire », le gouvernement de Noda Yoshihiko souhaiterait le redémarrage de certains réacteurs après rechargement et maintenance. Mais ce projet est bloqué par les pouvoirs publics locaux, municipalités et préfectures, ainsi que par des associations de citoyens. Un effort d’économie d’électricité, de l’ordre de 20 %, a permis de passer les pointes de l’été sans coupures de courant.

En 2010, le nucléaire, exploité dans une trentaine de pays, a fourni 2 630 TWh (milliards de kilowattheures), soit 13,5 % de l’électricité, 5,5 % de l’énergie primaire commerciale et environ 2 % de l’énergie finale (disponible chez le consommateur après transformation et distribution) consommées, dans le monde — toutes tendances à la baisse. L’âge moyen des réacteurs augmente et s’établit à 26 ans. S’il y a officiellement 63 tranches en construction à travers le monde, seuls quatre pays de la liste affichent plus de deux chantiers : la Chine (26), la Russie (10), l’Inde (6) et la Corée du Sud (5) — à eux quatre, ils en concentrent les trois quarts. Les deux seuls projets nouveaux engagés en Europe depuis plus de quinze ans — en Finlande et en France — démarreront avec quatre ans de retard, à un coût deux fois plus élevé que prévu.


L’inflexion Tchernobyl

Le 28 octobre 2011, Le Monde rapporte que la part du nucléaire dans la production énergétique française pourrait être ramenée de 75 % à 50 % d’ici à 2025 sous un gouvernement désigné par François Hollande. En quelques heures, l’action EDF perd 5,5 % de sa valeur. Areva, la plus grande entreprise nucléaire du monde, ne résiste pas mieux en Bourse que l’électricien national. Cet épisode est significatif du déclin continu du secteur, enclenché bien avant le désastre du 11 mars 2011 au Japon. Si le titre Areva a plongé de 50 % après les événements de Fukushima, sa chute est de 75 % depuis 2007 et celle d’EDF de 79 %.

La débâcle finlandaise a contribué au résultat catastrophique d’Areva, qui prévoit une perte de l’ordre de 1,5 milliard d’euros pour 2011. En décembre 2010, l’agence de notation Standard & Poor’s a baissé la note d’Areva, devenue BBB—. Le profil de crédit du groupe nucléaire en tant qu’entité indépendante (stand alone credit profile) est désormais classé BB — ou «  spéculatif  ». Le titre d’Areva est devenu une junk bond («  obligation pourrie  »). A la suite de l’annonce de l’abandon du nucléaire en Allemagne d’ici à 2022, Areva passe en outre d’une perspective «  stable  » à «  négative  ».


Un parc vieillissant
En Belgique, les premiers réacteurs s’arrêteront en 2015

Dans d’autres pays, la tendance se confirme. Les Italiens se sont prononcés par référendum à 94 % contre le redémarrage d’un programme nucléaire, abandonné après Tchernobyl. En Suisse, le Parlement a voté l’interdiction de construire de nouveaux réacteurs. En Belgique, la loi de sortie du nucléaire de 2003 est entérinée et les premiers réacteurs seront fermés en 2015. Le gouvernement finlandais a gelé tout nouveau projet. Les Taïwanais ont décidé de ne pas prolonger la durée de vie de leurs réacteurs et de viser un avenir sans nucléaire. Aux Etats-Unis et en Russie, les électriciens ne suivent pas la rhétorique des gouvernements favorable au nucléaire.

Si la Chine a gelé toute nouvelle autorisation de construction de réacteur, elle a accéléré le développement des énergies renouvelables, auxquelles elle a déjà consacré 54,5 milliards de dollars en 2010, cinq fois plus qu’au nucléaire. La capacité mondiale installée de l’éolien, du solaire, de la biomasse et de la petite hydraulique dépasse déjà celle du nucléaire. Compte tenu de la dynamique post-Fukushima, voir les petites installations d’énergie renouvelable produire plus de courant que les cathédrales de l’atome n’est qu’une question de temps.


Mycle Schneider est consultant international en énergie et politique nucléaire. Coordinateur et principal auteur du World Nuclear Industry Status Report, il vient de lancer, avec le soutien du Monde diplomatique, le site www.worldnuclearreport.org.

Cet article est tiré de notre Atlas « mondes émergents », qui vient de paraître. Les esquisses graphiques sont de Philippe Rekacewicz.
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